SPORT FÉMININ : Entretien avec Lucie Jacquet-Malo

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Nous terminons la semaine Sport Féminin Toujours, opération lancée par le CSA pour mettre en avant le sport féminin, sur un entretien avec la seconde ligne et vice-capitaine des Licornes du RC Amiens, Lucie Jacquet-Malo.

Bonjour, pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

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Je suis Lucie Jacquet-Malo. Je suis enseignante à l’université et je pratique le rugby depuis 3 ans et la boxe française depuis 10 ans.

Comment êtes-vous venue au rugby ?

Je suis venue au rugby parce qu’un copain nous avait proposé, à mon épouse et moi, de commencer le rugby. Il nous a dit que ça nous plairait sans doute, comme on faisait de la boxe française toutes les deux.

Et, avant cela, qu’est-ce qui vous a lancé dans la boxe ?

Cela faisait très longtemps que je voulais faire de la boxe, depuis toute petite. Et puis, je n’ai jamais eu l’occasion d’en faire donc, quand je suis arrivée à Amiens, je me suis dit que j’allais faire de la boxe et j’ai téléphoné au premier club de boxe qui apparaissait sur internet.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de faire de la boxe ?

Je pense que c’est un sport où l’on va vraiment au bout de soi-même et qui est un sport très humble dans le sens où il y a plus fort que nous. Quand on perd, on s’en souvient pendant trois-quatre jours. Ce qui me plaisait, c’était cette idée d’aller au bout de soi plus par instinct de survie que par volonté.

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Quelles ont pu être les réactions au fait que vous vous lanciez dans des sports qui sont encore perçus comme des sports dits « masculins » ?

C’est très rigolo parce que, comme je vous le disais, je voulais faire de la boxe dès toute petite et mes parents me disaient « surtout, ne fais jamais de boxe, c’est un sport violent ». Du coup, je me suis inscrite au hand, qui est un sport que j’ai adoré, j’en ai fait pendant des années. Mais je m’étais toujours dit que je ferai de la boxe. Et peut-être que mon cercle d’amis et de proches a changé parce que quand je me suis mise à la boxe, on s’est dit que c’était très bien qu’une femme puisse faire de la boxe. On avait aussi beaucoup d’exemples de grandes boxeuses qui nous tiraient vers le haut.

Et au-delà du cercle de proches, il n’y a jamais eu de réactions particulières ?

Honnêtement, non. Tant mieux ! Ou en tout cas, les gens ne le disent pas, peut-être qu’ils n’osent pas parce que je fais de la boxe (rire). Non, honnêtement, ça n’a pas provoqué de réactions négatives. A la rigueur, les gens me disent plutôt le contraire, que c’est une bonne chose qu’une femme puisse faire un « sport d’homme ».

Vous aviez déjà entendu parler de cette semaine Sport Féminin Toujours ?

Oui, j’en avais entendu parler au RCA. Il y avait un projet qui devait être mis en place et puis, les délais étaient trop courts donc on n’a pas pu y participer. Mais, oui, j’en avais entendu parler.

Qu’est-ce que vous pensez de cette initiative ?

Très honnêtement, je suis partagée. Evidemment, c’est nécessaire, c’est une excellente idée, il faut promouvoir le sport féminin au sens où tous les sports peuvent être pratiqués par tous les sexes, les sports « féminins » peuvent aussi être pratiqués par les hommes comme les sports soi-disant « masculins » peuvent être pratiqués par les femmes. Mais il ne faut pas que ça pointe encore des moqueries sur les réseaux sociaux. Parce que le problème, c’est qu’à chaque fois que l’on fait quelque chose, on a parfois un effet plus mauvais que ce qu’on aurait voulu à cause des réactions sur les réseaux sociaux. Mais, bien entendu, c’est nécessaire d’en parler.

Est-ce que la médiatisation de certaines sportives, de la pratique de certains sports par des femmes participe au fait de se sentir prête à se lancer ?

Oui, j’en suis fondamentalement convaincue. La majeure partie de la publicité sur le sport féminin passe par les athlètes de haut niveau. Je pense que n’importe quelle personne qui a un esprit un peu sportif va toujours admirer les athlètes de haut niveau, va regarder ces mêmes athlètes du sport qu’il ou elle aime. Et je pense que des personnes comme Laura Flessel, qui a été une personnalité très connue, c’est quelque chose de très important pour que les gens puissent s’y identifier.

La majeure partie de la publicité sur le sport féminin passe par les athlètes de haut niveau.

En cela, peut-on dire que les médias ont une responsabilité dans la possibilité de croissance du sport féminin ?

Oui, oui, je pense que ça y participera. Le fait aussi d’avoir des grandes sportives qui viennent faire des meetings, des rencontres, ça peut déclencher des passions. Même à notre échelle, quand on voit les yeux des gamines qui font de la boxe à Amiens Nord quand elles voient une grande boxeuse, on comprend que c’est par là que ça passe.

A cet égard, que pensez-vous de la médiatisation du rugby en France ?

Elle commence vraiment à pointer le bout de son nez. Après, est-ce que c’est parce qu’il y a quelques années, l’équipe de France masculine de rugby a été un peu dans la pénombre qui a permis de valoriser l’équipe féminine parce qu’elle avait battu la Nouvelle-Zélande et été très forte ? Je pense que ça y a contribué, que l’équipe masculine brille un peu moins. Et puis, maintenant, c’est très installé. Quand on voit que France Télévision diffuse les matchs de l’équipe féminine de rugby au même titre que l’équipe masculine. Ça passe par des petits détails aussi. Par exemple, on ne parle plus de « Allez les Bleus » mais de « Ne faisons XV », donc il y a la notion d’intégrer les féminines et les masculins. Ce sont des petits détails par lesquels la promotion du rugby féminin passe.

Est-ce que vous avez déjà ressenti les effets de ce gain de médiatisation ?

Je ne suis pas certaine. Je pense que oui mais c’est très subjectif. On a des gamines qui viennent, qui sont très jeunes et qui connaissent le rugby par la télévision et par la médiatisation du rugby féminin.

Est-ce que, même au niveau du public, vous sentez, vous, un plus fort intérêt pour l’équipe féminine du RCA ?

Oui, là, pour le coup, c’est certain. C’est intimement lié au fait qu’on a beaucoup progressé, on a eu des nouvelles recrues qui sont excellentes. Donc, l’année dernière, on a vraiment entendu sur les bords du terrain : « Ça y est les filles font du vrai rugby ! » Et ce n’est pas péjoratif, c’est juste que l’on était débutante, pour la plupart, quand on a commencé il y a trois ans. L’équipe se refondait, donc on repartait de zéro et c’est vrai que le rugby qu’on pratiquait était un rugby de débutante. Et là, on voit les gens qui ont plaisir à venir aux matchs, quand il y en a, donc c’est très agréable.

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Est-ce qu’à votre niveau, vous sentez une différence entre le rugby féminin et le rugby masculin ?

Il n’y a absolument aucune différence pour les dirigeants du club entre équipe masculine et féminine et on en est extrêmement reconnaissante. Les dirigeants du club sont exceptionnels là-dessus. Je pense qu’on est un des seuls clubs en France où il n’y a absolument pas de différence entre les filles et les garçons. Et j’irai même plus loin : et ce malgré le fait que les garçons évoluent dans une division largement au-dessus de nous puisqu’ils sont en Fédérale 3 et nous en Régionale. Malgré cette différence de niveau, les dirigeants du club ne font absolument aucune différence : on a le droit aux mêmes infrastructures, on échange les terrains pour avoir le meilleur terrain les veilles de match.

Il y a quelques jours, en football, il y a eu une annonce indiquant la reprise de la Coupe de France… masculine. Est-ce que de votre côté, vous sentez une différence de traitement de la part des instances ?

Il y a quelques jours, il y a eu un communiqué de la FFR nous disant que le tournoi des 6 Nations était décalé pour les femmes et pour les moins de 20 ans mais pas pour les hommes. C’est un peu similaire et c’est dommage. Surtout, il n’y a pas eu de justification. Ça aurait peut-être été intéressant d’entendre la justification qu’ils avaient à donner. Peut-être qu’il y a quelque chose de tout à fait justifiable et que ça peut se comprendre. Maintenant, si c’est juste parce qu’il fallait éliminer les femmes et les enfants pour laisser les mâles dominants briller, je ne suis pas sûre que ce soit le meilleur coup de com possible… Le tort est vraiment sur le manque de justification.

Vous jouez au rugby à X, cela fait une différence au niveau du jeu par rapport au rugby à XV ?

Oui, il y a quelques différences. Déjà, sur les gabarits puisque, comme on ne pousse pas les mêlées, il y a moins d’impact physique pour les avants. Et surtout les matchs sont beaucoup plus courts parce qu’on court beaucoup plus comme on est à 10 sur un terrain aussi grand qu’à 15. Cela peut rendre intéressant d’avoir des gabarits plus légers et plus aériens. Néanmoins on a une joueuse exceptionnelle qui est Mélanie Deguise qui a un gabarit de rugby à XV qui nous marque plein d’essai. C’est bien aussi d’avoir un gabarit très fort parce que si les autres sont trop aériennes, elles en entraînent quatre d’un coup.

Vous évoluez au poste de seconde ligne, vous pouvez nous en parler ?

J’adore ce poste, c’est pour moi le plus beau poste. C’est un poste de l’ombre, on voit rarement, même au niveau international, des deuxièmes lignes mettre des essais, on voit rarement les deuxièmes lignes briller sur des percées par contre c’est un poste indispensable. J’aime dire qu’on est toujours un mètre derrière l’action, c’est-à-dire qu’on voit toujours ce qui se passe, on protège les ballons, on protège nos camarades. Et c’est un poste où l’on doit avoir beaucoup d’agressivité, dans le sens positif du terme, sur chaque ballon, chaque déblayage, chaque action.

Découvrez notre série d’articles sur le Sport au Féminin :
1. Entretien avec Dorine Cocagne de l’AUC Badminton
2. Entretien avec Lucie Jacquet-Malo du RCA
3. Entretien avec Brigitte Schleifer, présidente de la FFFA
4. Entretien avec The Rolling Candies
5. Les Bavardes et la place des femmes dans le sport
6. Amiens SC Féminines peaufine sa condition
7. Féminines, les oubliées de la Coupe de France


Morgan Chaumier

Crédit photos : Coralie Sombret – Gazettesports