Au cours de l’interview qu’il nous a accordé, Jérémy Stravius est également revenu sur l’actualité de la natation et le rapport qu’il entretient avec ce milieu. Entre regard enthousiaste quand on lui parle de Mewen Tomac et désabusé sur l’évolution de son sport et la gestion de la FFN.
Quel regard portez-vous sur les jeunes qui arrivent, notamment sur votre spécialité du dos, où l’on a Mewen Tomac qui marche bien à Amiens et qui a de la concurrence avec Yohann Brouard ?
C’est top, forcément ça fait penser un peu à Camille Lacourt et moi de notre génération. C’est bien ça va les aider, faut quand-même qu’ils aient un duel serein, pas comme on nous a confronté Camille et moi en tant qu’ennemi, alors que ce n’était pas le cas du tout, ça nous aurait plus aidé si on avait plus parlé et si nos coachs avaient fait les choses de manière à ce que l’on soit solidaire. Il faut qu’ils se servent de ça pour progresser. On avait la chance à chaque fois en France d’avoir un nageur qui soit au niveau international, avec Mewen et Yohann ça va être la même chose.
Pour en avoir parlé avec Mewen parce qu’il est venu ici, je suis content qu’il soit resté à Amiens cette année, je vais le suivre de très près, j’espère qu’il va aller le plus loin possible, cette année c’est les championnats du monde, donc il va falloir se faire sa place tout de suite, parce qu’il ne restera plus que deux ans après avant les Jeux.
Ces Jeux de Paris, c’est un objectif envisageable pour Mewen et Yohann ?
Pour la médaille, il va falloir voir. Il y a des nageurs qui arrêteront entre temps mais je doute qu’il y en ait plus que d’habitude puisqu’on n’est qu’à 3 ans. J’ai l’impression que Paris fait plus rêver que Tokyo. L’épidémie a fait qu’il n’y avait pas de spectateurs, c’était complexe. On imagine des Jeux sans masques, avec du public. Il y aura beaucoup de nageurs qui seront encore présents trois ans après. Ils ont tous les deux le potentiel d’être en finale olympique et on sait qu’en finale olympique, tout est possible. Il n’y aura pas d’hyper favori. Même si on voit que des Américains commencent à se mettre en avant. Il y a eu un record du monde en petit bassin il y a deux jours par un nageur qu’on n’a jamais vu sur la scène internationale, il faut s’attendre à ce qu’il soit là en grand bassin. Donc, on attend Mewen et Yohann, mais il y en a d’autres qui vont arriver. Il faut qu’ils progressent au même rythme que vont progresser les autres. Ça va être intéressant. Ils ont encore tellement de marge. Mewen a encore beaucoup de marge, il a énormément progressé, il faut que ça continue.
L’an dernier, quand vous avez annoncé votre retraite, vous évoquiez un désamour pour ce sport. Est-ce que c’est un sentiment que vous avez toujours ?
Oui, en fait, je ne retrouvais pas l’esprit équipe de France qu’il y avait auparavant. Quand on a connu énormément de choses, les plus belles années, c’est vrai que quand on avance, des fois, on est un peu déçu de comment les compétitions se sont passés.
J’ai un désamour total pour ma Fédération
J’ai un désamour total pour ma Fédération, clairement. Je ne mâche pas mes mots et je ne m’en cache pas. Je n’ai aucun retour, aucun message, enfin si, de l’ancienne Fédération. C’est assez drôle, mais les personnes avec qui j’ai le plus de contacts sont des anciens élus ou des anciens de la belle génération. Aujourd’hui, c’est pauvre et je trouve que c’est gâché. Je ne sais pas ce qu’ils veulent mettre en avant. Je suis assez déçu qu’il n’y ait pas de changement alors qu’il y a des nageurs inscrits dans le comité de la Fédé, qu’ils ne fassent pas bouger les choses parce qu’ils ont connu les plus belles années et aujourd’hui, on n’arrive pas à retrouver ça en équipe de France. Je trouve ça dingue. J’ai été complètement déçu. Mais je pense que ça va un petit peu bouger cette année. Il y a le directeur technique de la natation course qui a changé, c’est un Hollandais, ça va faire bouger les choses, il n’y aura pas forcément d’affinités avec tel club ou tel nageur. Ce sera neutre, ce sera bien pour faire avancer les choses.
J’étais extrêmement déçu et encore aujourd’hui. Donc c’est clair que quand je vais sur une compétition, ce ne sont pas les premiers à qui je vais dire bonjour. Je suis là pour être avec mon club, pour kiffer le fait de nager et retrouver d’anciens nageurs avec qui je m’entends très bien. Le reste, je passe complet, vraiment.
C’est donc plus au niveau des relations humaines que vous avez été déçu qu’une lassitude de la nage ?
Oui, après, il y a aussi le fait que je ne retrouve pas mes sensations. Mais à la rigueur, ça, ce n’est pas grave, j’y étais préparé. Je m’étais dit que si j’allais aux Jeux, de toute façon, c’était pour me qualifier, mais je n’y attendais pas une médaille, ni sur 100 papillon, ni sur le relais 4×100. Malgré tout, vivre les Jeux, ça aurait été une belle aventure. Mais j’ai bien fait, c’était juste avant le covid. Je ne regrette pas d’avoir arrêté, parce que, vivre des Jeux comme ça, ça m’aurait vraiment déçu d’avoir passé 5 ans pour ça. C’est l’addition de ça plus ça plus ça.
On ne regarde même pas le talent, aujourd’hui, on regarde combien tu as d’abonnés.
J’étais vraiment très déçu. Il n’y avait soit pas de réponses, soit pas de soutien. Et de beaucoup de monde. Et puis, il y a aussi la façon dont tournent un peu les sportifs dans l’Équipe de France, j’ai l’impression que c’est plus business que résultats. On aime bien s’afficher sur les réseaux, c’est à celui qui aura le plus de followers, de soutien via les réseaux qu’on pourra aider. On ne regarde même pas le talent, aujourd’hui, on regarde combien tu as d’abonnés. Je ne sais pas si vous avez lu l’article sur Mélanie (Hénique, ndlr), mais c’est vrai. Si on n’a pas 10k followers, on n’est rien, on n’existe pas. Aujourd’hui, si on veut exister, il faut créer le buzz. Ça l’a toujours un peu été mais là c’est un peu « On va dire ça, ça va faire le buzz, ça va faire parler de nous et peut-être que comme ça, tu auras plus de followers et on pourra avoir des partenariats. » C’est ça qui me peine, de voir les sportifs jouer de ça alors qu’ils feraient mieux de se concentrer sur les entraînements et les performances. Il n’y a pas que les nageurs, il faut voir par qui ils sont entourés, entraîneurs, agents. Ça joue énormément. L’entourage d’un nageur, c’est juste primordial pour progresser, pour faire partie des meilleurs. Si on est mal entouré, c’est compliqué.
Il ne faut pas croire que tous les sportifs qui sont montés sur les boîtes olympiques ne boivent pas d’alcool et ne mangent pas gras.
Je ne dis pas que j’ai réussi de ce côté-là. Mais je n’ai pas voulu me mettre plus en avant que ça. J’aurais pu, mais j’ai préféré me concentrer ici sur Amiens. Et profiter aussi à côté. C’est-à-dire que quand j’avais fini de nager, j’avais vraiment une vie à côté où je n’étais pas de ce côté-là du bar mais de l’autre, je pouvais m’amuser. Aujourd’hui, j’en vois qui se refusent tout ça alors que je pense que c’est bien de décrocher aussi un peu du sport. Il ne faut pas croire que tous les sportifs qui sont montés sur les boîtes olympiques ne boivent pas d’alcool, ne mangent pas gras, etc. C’est faux. On a le droit. Heureusement, d’ailleurs, sinon, on ne vivrait pas pendant 30-35 ans, on ne connaîtrait même pas ce qu’est un burger. Il faut profiter aussi.
Est-ce que l’ultra-professionnalisation du sport et le business qui en résulte n’est pas en train de tuer le sport, censé être un plaisir, à la base ?
Surtout pour nous qui sommes un sport amateur. On a besoin d’avoir des partenariats, des sponsors, etc. mais la manière dont c’est fait… On va financer un sportif parce qu’il a fait le buzz. Je pense sincèrement que si j’avais dit que j’étais homo pendant ma carrière, je pense que j’aurais eu plus de partenariats. Je n’ai pas voulu, ce n’est pas le but, je n’ai pas envie qu’on me voit comme le sportif homo. Je trouve que là-dessus, il y a un problème, je pense qu’on devrait voir le sportif dans sa marge de progression et son talent. Aujourd’hui, on en fait un pataques pour un petit buzz. Ou alors « il est beau gosse, on va le suivre ». C’est dommage, dans le sport.
Après, j’ai bien aimé suivre les Jeux. Sans supporter, il y a les bons côtés et les mauvais côtés. En tant que sportif, je pense que c’est compliqué, mais on s’est plus focalisé sur le talent des sportifs, sur la performance. Et ça, c’est sympa.
Julien Benesteau et Morgan Chaumier
Crédits photos : Coralie Sombret et Julien Benesteau