Ingénieur chez Clarins à Glisy et heureux de s’être installé à Amiens, Victor Eonnet va prendre le large l’an prochain. Pour réaliser son rêve : traverser l’Atlantique à bord d’Arthritis, son voilier de 6,50 mètres. Rendez-vous dans dix mois, au départ de la 23ème Mini Transat. Il lui reste d’ici là à boucler son budget et à terminer sa préparation.
Skipper amateur comme il en existe des milliers, Victor Eonnet n’est toutefois pas né de la dernière pluie. Du haut de ses trente ans, en plus de la barbe drue qui n’a pas attendu la mode hipster et qui ne dissimule pas un large sourire presque enfantin, il ressemble déjà à un marin aguerri. Deux sélections aux championnats de France Espoirs, plusieurs régates à l’adolescence, jusqu’à la Semaine olympique française en 2009. Le début du commencement d’une passion d’enfance à assouvir coûte que coûte. « Quand j’ai été embauché chez Clarins début 2017, j’ai tout de suite regardé comment emprunter pour acheter mon bateau et lancer mon projet » détaille ce Parisien d’origine, biberonné à la passion familiale de la voile et toujours licencié au Yacht Club de l’Île-de-France (YCIF). « Mon père a beaucoup régaté, mes parents ont acheté un bateau quand j’avais six ans. Je passais mes vacances dessus ! » La Bretagne devient alors le port d’attache de Victor Eonnet. « L’Île-aux-Moines (Morbihan) d’abord, puis Pontrieux (Côtes d’Armor), à côté de Paimpol, quand j’ai eu dix ans. C’est là où j’ai appris à gérer les courants… » explique celui qui se met une idée en tête : participer à la Mini-Transat en solitaire. Nous sommes alors en l’an 2000…
La Mini Transat, pépinière de talents
Créée en 1977, la Mini-Transat a déjà lancé les carrières de Michel Desjoyaux, des frères Peyron, de Thomas Coville, d’Isabelle Autissier, d’Yves Parlier, vainqueur en 1987, d’Yvan Bourgnon qui la remporte en 1995 ou encore de l’Amiénois Jean-Luc Van Den Heede. Le petit Victor rêve de les imiter. Deux décennies plus tard, le voici sur le point d’atteindre son objectif. « Le départ est prévu le 26 septembre 2021 aux Sables d’Olonne. Partir à cette période doit permettre d’éviter les tempêtes dans le golfe de Gascogne… » indique Victor Eonnet, qui a déjà eu sa dose de sensations fortes, en juin dernier.
Black-out total lors du parcours de qualification
« Après avoir terminé toutes les régates nécessaires pour avoir le droit de prendre le départ de la Mini Transat, soit 1500 milles (1) en course, il restait un parcours de qualification de 1000 milles, entre le sud de l’Irlande et l’Île de Ré. Je l’ai fait en en dix jours, ma plus longue période seul en mer. Et j’ai beaucoup appris sur moi… » Victor raconte alors ses « 36 heures sans dormir, deux jours pratiquement sans manger, car accroché à la barre, trempé de la tête aux pieds, secoué par des vagues de six mètres et avec 45 noeuds de vent » (NDLR : plus de 80 km/h). La faute à des conditions météo délicates mais surtout à… un fâcheux problème technique. Avec les panneaux solaires, l’hydrogénérateur et son hélice dans l’eau à l’arrière du bateau est l’un des deux moyens pour produire l’électricité indispensable à bord. « Pas de bol, l’hydrogénérateur est à tribord et comme j’ai eu cinq jours de suite avec vent de tribord, ma belle hélice était hors de l’eau… Donc ça a été rude ! Avec en plus une journée sans soleil, je me suis retrouvé sans énergie à bord, sans VHF, plus rien du tout, le black-out total, je n’étais plus visible ! Je pensais à mes proches qui devaient forcément s’inquiéter… » Après avoir viré de bord, Victor Eonnet rebranche l’hydrogénérateur et là, nouvelle déconvenue : « il y avait une algue à l’intérieur« , donc toujours pas d’énergie pour communiquer avec la terre ! « Quand le bateau a enfin récupéré de l’énergie, je suis allé me coucher, j’ai souhaité bon courage à mon pilote automatique comme si c’était un pote à la barre… J’étais vraiment au bout, à bout ! », proche des hallucinations familières aux skippers, dues au manque de sommeil et à un état de veille permanent.
« L’impression de voler et de faire des ricochets… »
Dans l’affaire, Victor Eonnet a gagné souvenirs, confiance et plaisir… « C’est fou quand-même ! J’ai passé 48 heures avec beaucoup de souffrances mais ce que je retiens en premier aujourd’hui, c’est ce moment où j’avais l’impression de voler de mini-vagues en mini-vagues, grâce à l’énorme vague sur laquelle j’étais. Mon bateau faisait comme des ricochets… C’était vraiment super impressionnant ! » Et que dire des dauphins qui lui tiennent compagnie en mer d’Irlande et en Manche : « ils jouaient à l’avant pendant des heures, je m’y suis presque habitué. » De ce parcours de qualifications agité, cet ingénieur chargé de la performance sur la plateforme logistique de Clarins à Glisy, retient aussi de nombreux axes de progression en vue du départ de la Mini Transat. « J’ai du boulot cet hiver sur le bateau, qui est stocké à La Turballe, en Loire-Atlantique, mais à 2 km de la Bretagne ! J’ai encore pas mal de choses à peaufiner, mais ça va dépendre de la suite du confinement. Deux-trois trucs à changer, les safrans par exemple, si je trouve un partenaire. Racheter un spi medium (voile avant) également. Avant de passer quasiment tous les week-ends pendant deux mois et demi avec Hervé Aubry, mon entraîneur. Il y a trois types d’entraînements : les manoeuvres. Les speed tests, avec une quinzaine de bateaux, on compare nos voiles, nos angles par rapport au vent pour avoir des tableaux de choix de voiles bien faits, pour savoir tout de suite laquelle hisser quand on est en course. Et enfin des entraînements offshore, 24 heures en mer. Après quoi, on a une réunion et on analyse notre gestion de la météo, nos réglages, la vie à bord : a-t-on eu des soucis techniques, réussi à manger, à dormir ?«
Plus de 5 kg perdus en 10 jours !
Ces deux derniers paramètres sont cruciaux avant de se lancer dans une traversée de plus de 4000 milles – environ 7500 km -, soit 25 à 40 jours de mer entrecoupés d’une pause de trois semaines aux Canaries (Santa Cruz de La Palma) avant la traversée jusqu’à la Guadeloupe (St François). Et Victor Eonnet a des approches très différentes : « pour le sommeil, je n’ai pas trop de soucis, je gère, entre les périodes de nuit où je suis enclin à dormir et celles où je suis beaucoup plus actif. Et j’arrive à respecter aussi mes tranches horaires de sommeil en journée. Mais j’ai énormément de mal à m’alimenter. Je n’ai pas faim…Alors que dans la vie de tous les jours, je suis gourmand ! Manger sans avoir faim, c’est compliqué (rires) ! Je cherche du coup des aliments très caloriques, pour un apport maximal rapide, 4000 calories minimum par jour. Pendant mon parcours de qualification, en dix jours, j’ai perdu un peu plus de cinq kilos ! 500 grammes par jour, c’est trop… Les plats lyophilisés, c’est déprimant en plus ! Je préfère aujourd’hui les plats appertisés (NDLR : avec un traitement thermique qui les empêche de s’altérer). Ils sont plus hydratés, c’est sympa à manger, comme le poulet tikka masala, un régal ! Il y a une gamme variée qui se développe, bien aidée par le boom des sports outdoor. »
Aidé par un préparateur mental pour éviter la « spirale descendante »
Naviguer en solitaire, c’est aussi la porte ouverte à tous les états d’âme, de l’euphorie au pétage de plombs… « Un des points essentiels, c’est d’avoir un moral stable, analyse Victor Eonnet. Contrôler son humeur, ne pas surréagir. Pour cela, je vois un préparateur mental, Franck Blondeau (2). On fait de la relaxation, de la visualisation mentale sur les manoeuvres, pour que je me sente le mieux possible le plus longtemps possible. Comme le projet me tient beaucoup à coeur, je peux me mettre dans une spirale descendante (sic) si je me rends compte que les autres vont plus vite que moi, par exemple… Maintenant, je gère ça de mieux en mieux, grâce au travail entamé à la fin du premier confinement », au printemps dernier.
Manque 20 000 € soit 10% du budget
Mais l’argent reste le nerf de la mer ! « Quand on fait des sports mécaniques, de l’aviation, de la voile, c’est le début de tout, constate Victor Eonnet. Le formateur météo que j’ai eu, Jean-Yves Bernot, nous a dit : en premier, il vous faut de l’argent, puis un bateau et après du temps… Au début, je voulais un bateau tout neuf, pour gagner ! Avec un budget énorme ! Je voulais quasiment arrêter de travailler, avant d’être rattrapé par la réalité (rires) ! Finalement, avec mon Pogo 2 acheté à crédit 35 000 € il y a deux ans, mon but est de faire le mieux possible, aller au bout en ayant pris le maximum de plaisir. Et en ayant fait partager au plus grand nombre cette aventure. Pour que mes partenaires et tous ceux qui me suivent soient contents et surtout prennent du plaisir eux aussi. » Quand il se disait rattrapé par la réalité… « Il me manque aujourd’hui 20 000 € pour boucler le budget et rendre le bateau plus performant et plus secure. Ma cible de partenaires, ce sont des entreprises de taille moyenne, ce qui est cohérent avec la Mini Transat, qui veulent un projet accessible, que leurs équipes pourront suivre. Je viendrai leur présenter, en plusieurs sessions de petits groupes si nécessaire. Avant de les revoir à mon retour, avec le film de ma traversée. L’idée, c’est vraiment de créer quelque chose entre l’entreprise partenaire, ses collaborateurs et moi, pour que l’on se découvre et qu’on avance ensemble. Mes voiles sont disponibles et j’ai encore de l’espace un peu partout sur la coque » (3)
Mini Transat pour une bonne cause, aux couleurs de la Fondation Arthritis
Victor Eonnet a également la chance de pouvoir compter sur un employeur – Clarins – « assez ouvert à ce genre de projets et bienveillant. J’en ai parlé il y a longtemps, mon absence est anticipée » se réjouit le navigateur dont le voilier Pogo 2 de 6,50 mètres arbore les couleurs d’Arthritis. Il s’agit de la fondation créée en 1989 par le fondateur de Clarins, justement – Jacques Courtin-Clarins – et qui aide la recherche sur les rhumatismes et les maladies articulaires.
Victor Eonnet suit les péripéties du Vendée Globe
Depuis le 8 novembre, Victor Eonnet suit évidemment le Vendée Globe, ses péripéties et les pépins rencontrés par la flotte, comme le deuxième départ de Jérémie Beyou après sa collision avec un OFNI ou encore « l’atelier voile » ouvert sur son Imoca par le Japonais Kojiro Shiraishi, suite à une avarie de grand-voile après seulement huit jours de mer. Un bricolage qui a rendu sceptique le skipper amiénois comme bon nombre de navigateurs. « Il fait bien de rien lâcher, mais les mers du Sud, c’est quand-même pas l’endroit le plus simple pour réparer. S’il était dans la remontée de l’Atlantique, ça pourrait le faire… Mais faire le tour de l’Antarctique avec une voile réparée, ça va être compliqué… »
« Je ne suis pas superstitieux mais je ne mangerai pas de lapin à bord ! »
Mais Victor Eonnet balaie d’abord devant sa cabine. Deux régates l’attendent en avril-mai, avant une troisième et dernière en juillet, un aller-retour entre la Vendée et l’Espagne. « J’ai prévu d’arrêter de travailler mi-août et d’arriver au village-départ, aux Sables d’Olonne, trois semaines avant le Jour J » a déjà planifié l’ingénieux ingénieur qui assure ne pas être superstitieux : « je n’ai pas de gri-gri, juste une peluche sympa. Mais je ne mangerai pas de lapin à bord » sourit-il, en faisant allusion à cette superstition née de l’époque où les marins emportaient des animaux vivants, dont des lapins, pour les manger pendant les traversées. Plus rationnellement, Victor Eonnet va continuer de suivre l’évolution du Vendée Globe, où deux anciens vainqueurs de la Mini Transat – Armel Tripon (2003) et surtout Thomas Ruyant (2009) – réalisent des prouesses. Une mer calme n’a jamais fait un bon marin…
Vincent Delorme (avec Léandre Leber)
Photos Dicilà Léandre Leber
(1) : 1 mille nautique ou marin équivaut à 1 km 852.
(2) : Franck Blondeau, installé à Amiens, travaille notamment avec le Pôle Espoirs de natation et accompagne plusieurs footballeurs professionnels. www.franckblondeau-coaching.com
(3) : Pour contacter Victor Eonnet : victoreonnet@gmail.com ou 06 51 54 29 24
(4) : Le groupe Clarins a versé 30 000 € à Victor Eonnet sur ses 200 000 € de budget. Et le skipper s’est engagé à reverser 80 000 € à Arthritis (fondation-arthritis.org)