AMIENS SC : Jérôme Jean, après 17 ans, une page qui se tourne (1/2)

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Quelques heures à peine avant sa dernière au micro de speaker de l’Amiens SC, nous nous entretenions avec Jérôme Jean. Dans cette première partie, il revient avec nous sur cette décision et nous décrit la façon dont il appréhende le moment.

Bonjour, quelles sont les raisons de votre arrêt ?

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Cela fait 20 ans que je fais ce métier. J’ai eu la chance de la faire au Havre et ensuite à Amiens où j’ai vécu 17 années fabuleuses. Je trouvais que 20 ans, ça sonnait bien. Je pense aussi, approchant des 50 ans, que c’était pour moi l’occasion de faire d’autres choses dans ma vie. Parce que je pense qu’après, ce sera un peu plus compliqué. Donc c’est surtout un choix personnel et professionnel. J’avais envie de prendre d’autres responsabilités, d’autres fonctions et de ne plus être forcément speaker, animateur de stade. J’avais envie de faire autre chose. Ça a été un déchirement. Ça a été le temps d’une longue réflexion. Et j’ai pensé que c’était le bon moment d’arrêter, aujourd’hui.

Il y avait une forme de lassitude ?

Aucunement. Alors, là, vraiment pas ! Ni lassitude ni conflit avec qui que ce soit au club où, franchement, on m’a toujours laissé travailler, laissé faire ce que je voulais. Aucune lassitude. Je pars à un moment, et c’est ce qui va rendre la journée d’aujourd’hui compliquée (l’entretien a été réalisé samedi, quelques heures avant le coup d’envoi de la rencontre face à Niort, ndlr), où je suis toujours autant passionné, j’aime toujours autant ce que je fais, j’aime toujours autant le contact avec le public qui me manque évidemment depuis un peu plus d’un an maintenant. C’est un choix qui peut être difficile à comprendre. Il n’y a pas eu de raisons qui m’ont motivées à arrêter du type mésentente, fatigue, lassitude, ras-le-bol, ou viré par le club. Ça a été une longue réflexion. Mais je trouve que 17 ans, c’est déjà beaucoup.

La seule certitude que j’ai, c’est que je ne reprendrais aucunement le micro dans aucun autre stade, quel qu’il soit, je ne le souhaite plus, je tourne une page.

Vous avez des projets en rapport avec le foot ?

Les projets qui suivront, je préfère ne pas en parler parce que rien n’est concrétisé, rien n’est sûr, je ne souhaite pas annoncer quelque chose et que ce ne soit pas le cas ensuite. La seule certitude que j’aurai ce soir (samedi soir, ndlr) en arrêtant, c’est que je ne reprendrais pas le micro dans un stade foot. Ça, c’est une certitude. Je veux arrêter ce soir, à Amiens, mais aussi cette fonction-là qui est extrêmement prenante, qui est passionnante, qu’on ne peut pas faire à temps partiel, qu’on peut, à mon avis, difficilement faire si l’on n’est pas passionné. Donc la seule certitude que j’ai, c’est que je ne reprendrai aucunement le micro dans aucun autre stade, quel qu’il soit, je ne le souhaite plus, je tourne une page.

Comment on se sent alors que ça approche ?

Je pense que c’est le rendez-vous le plus difficile de ces 20 années. Parce que dans le métier que l’on fait, qui est une passion, on est là pour gérer, accompagner, non seulement les émotions des autres, mais aussi les siennes. C’est extrêmement difficile parce que j’ai reçu, depuis une semaine, des messages que je n’imaginais pas. J’ai été très touché par les témoignages, par leur contenu qui n’était pas juste un « merci, salut ». Les gens m’ont raconté une partie de leur vie et je ne savais pas que le football et l’Amiens SC pouvait compter autant pour eux. Ça m’a beaucoup touché donc il va y avoir de l’émotion ce soir (samedi, ndlr). Parce que c’est la dernière fois et aussi parce que j’imagine tous les gens qui sont derrière. Et comme je ne reprendrais pas le micro dans un autre stade, je sais que c’est vraiment une page de ma vie qui se tourne définitivement. Il y a toujours un petit… je suis quelqu’un d’émotif, même si je ne le montre pas, ça va être un moment très difficile. C’est particulier, j’ai vraiment l’impression que cela va être le match le plus dur à faire.

Cela ne risque pas d’être rendu encore plus difficile par le fait de ne pas le faire avec les supporters ?

Non, parce que je le fais depuis déjà longtemps et que je n’ai pas eu envie de mettre en scène mon départ. J’ai estimé, en terme de timing, que c’était le bon moment, la bonne année. Mais quand je l’ai prévu – ça fait une petite année – je n’ai pas regardé en me disant que c’était Niort. Je n’ai pas calculé comme ça. Je me suis dit aussi que pour le club, ce sera le démarrage d’un nouveau cycle, ce sera le bon moment. Je savais qu’il n’y aurait pas ou peu de public. Et quand je vois des joueurs comme Jallet ou Bodmer qui, pour moi, représentent beaucoup dans le football, qui ont dû arrêter leur carrière la saison dernière, je me dis que le speaker que je suis peut bien arrêter dans un stade vide. C’est comme ça. J’aurai le regret de ne pas avoir vu les supporters pour leur dire au revoir mais je reste sur tellement de bons souvenirs. Ils vont me manquer ce soir mais je ne peux pas les avoir avec moi et c’est ce soir que ça s’arrête. C’est pour ça qu’après le match, je ferai un tour de stade tout seul en regardant toutes les tribunes. Parce qu’en 17 ans on a des réflexes, des souvenirs. Il y a des gens que je voyais tout le temps au même endroit en train de manger leur sandwich avec leur fils, les groupes de supporters, etc. Donc je ferai un tour, comme s’ils étaient là.

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Les tribunes étaient hélas vides, comme depuis de longs mois, pour cette dernière de Jérôme Jean

Comment avez-vous vécu, ressenti cette longue période sans public, ou presque ?

On se dit déjà qu’on a la chance d’être au match tandis que les supporters, les partenaires ne l’ont pas. Je ne suis pas d’un tempérament à pleurnicher, à me plaindre surtout quand il peut y avoir plus malheureux. Ce qui nous manque, aux gens du club, et demandez aux joueurs, ils vous diront la même chose, c’est le contact avec le public. Parce que le public, et encore plus à Amiens que dans certains stades, a su être costaud dans les moments où on n’était pas bien, dans les moments où on était en difficulté. Contrairement à certains stades où vous vous faites siffler pendant une heure et demi, ils ont parfois et même souvent su trouver les mots et ça nous a permis de faire des choses improbables, comme à Reims, comme se maintenir à 2 journées de la fin. On a réussi des coups, dans ce club, aussi grâce à ce public. Donc c’est évident qu’il nous manque beaucoup. On pense très souvent à lui. C’est pour ça qu’on a mis en place des lives, c’est pour ça qu’on essaye de faire des choses pour que malgré la distance, au moment où l’on nous demande de nous éloigner, on puisse se rapprocher. Ce soir j’aurais une pensée pour ce public parce qu’il nous manque depuis le début du confinement, on est impatient de le retrouver.

Comment, d’un point de vue plus technique, on continue à faire le même travail mais sans le répondant du public ?

Je me mets à la place des supporters. Et je me dis « qu’est-ce que je n’aimerais pas qu’on me prive de foot ! » C’est pour ça qu’il y a un peu plus d’un an, quand la Fédération Française de Football et la Ligue de Football Professionnel ont pris la décision de nous rétrograder, on a mis en place des lives. Parce que comme on était tous enfermés, confinés, on n’avait pas la possibilité de se rassembler et de manifester, sinon, je pense qu’on l’aurait fait. Ça avait même été envisagé, de se retrouver à Paris devant le siège de la FFF, mais le confinement ne le permettait pas. Donc on a créé ces lives pour ça, pour se rapprocher du public. L’être humain est aussi fait pour s’adapter. Eh bien, nous, on s’adapte. Par exemple, quand j’annonce un but, j’ai l’impression que le public est toujours là. Pendant tout le match, on est peut-être un des seuls clubs de L2, on a une bande sonore qui accompagne nos joueurs. En L1, ça se fait beaucoup, en L2, c’est plutôt rare. Et cette bande sonore, ce n’est pas pour faire semblant, c’est parce que quand on ferme les yeux, on a l’impression qu’ils sont encore là. Mais évidemment, on est impatient de les retrouver, qu’ils soient réellement là.

Être passionné, c’est important, et aimer le football, c’est indispensable

De façon plus générale, quelles qualités faut-il avoir pour être un bon speaker ?

Il faut aimer les gens. Et travailler en équipe. Un bon speaker, ce n’est pas grand chose, un bon public, parce que c’est ce qu’on a à Amiens, ça, c’est fort. Quand je vois les messages de remerciements que j’ai depuis une semaine, ce n’est pas moi qu’il faut remercier, ce sont les 13 000 personnes qui ont rempli le stade, celles qui y croient, celles qui ont le courage, celles qui se découragent, parfois, aussi. Nous, on est juste là pour créer le lien entre les joueurs, les dirigeants et les supporters, contents ou pas contents. Il faut aimer les gens, si on m’arrête demain dans la rue, on s’arrêtera 5, 10 minutes, ce qui fatigue parfois mes enfants, ma compagne. Parfois on m’interpelle dans la rue : « Amis supporters, êtes-vous là ? » « Pourquoi vous avez laissé partir Kakuta ? » « Comment cela se fait qu’on n’est pas capable de battre Guingamp ? » Cela fait partie du job et j’ai toujours autant de plaisir, qu’on ait gagné à Reims ou qu’on ait perdu contre Guingamp à domicile, de discuter avec les supporters. On a la même passion, on aime le foot, on aime l’Amiens SC, et on a beau ne pas être d’accord, on peut se respecter, s’écouter et se comprendre. Et je n’ai pas souvenir d’un désaccord avec un supporter, parce qu’à un moment donné, quand on est mauvais sur le terrain et qu’il nous le dit, il a le droit. Et il ne faut pas oublier que quand on a été bons, il était là et il le disait, qu’on était bons. Donc les qualités, c’est, je pense, aimer les gens parce qu’on fait un métier public, parce qu’on porte l’image du club. Et je trouve qu’être passionné, c’est important, et aimer le football, c’est indispensable. Pour le reste, peut-être être un peu bavard, comme je le suis.


Morgan Chaumier

Crédit photos : Léandre Leber – Gazettesports