A la suite d’une première partie où il relate son parcours, William Aubatin témoigne, dans ce second volet de notre interview, de cette saison 2019 si aboutie.
Il évoque notamment la frustration du compteur de médailles resté bloqué à zéro malgré une présence récurrente en finale de championnats. Devenu Champion de France Elite et obtenant une seconde sélection depuis (article à lire ici), l’Amiénois nous raconte sa première sortie internationale mais parle aussi famille, club et Jeux Olympiques.
Il y a eu cette année plus de régularité sur des grosses barres avec 10 concours à 2 mètres 10 ou plus. Tu as la sensation d’avoir passé un cap ?
Chaque année j’ai la sensation de passer un cap mais j’ai encore beaucoup de frustration. Faire partie des meilleurs français et terminer ses saisons sans médailles c’est très difficile à accepter. J’espère que cette saison et les saisons futures cela va changer. En tout cas je fais tout pour parce que j’en ai marre (rires).
Sur les cinq dernières années, tu as été qualifié chaque fois, présent en finale que ce soit chez les Espoirs, en National ou en Elite, mais jamais médaillé. Tu es passé tout près cet hiver mais le sort semble s’acharner ?
Cet hiver je me suis disais qu’en arrivant meilleur performeur français (ndlr : record personnel à 2 mètres 18, établi en Suisse cet hiver), une des marches du podiums serait pour moi. Et non rien, j’ai complètement foiré mes Élites cet hiver. Je m’en veux, surtout en terminant quatrième français (ndlr : cinquième du concours avec 2 mètres 12 comme le second mais battu aux essais).
C’est compliqué d’enchaîner en sortant d’une compétition sans médaille alors que sur le papier tu pouvais y prétendre ?
C’est très très dur. Quand tu arrives en favori ou en tout cas dans les cinq meilleurs tu as tout à jouer. Même quand tu donnes tout, il y a toujours un facteur qui arrive et tu passes à la trappe. Je me souviens d’Albi, c’est là ou j’ai commencé à vraiment avoir mal de ne pas monter sur le podium. Je fais un concours de qualification fabuleux où je passe tout au premier essai. J’étais super bien. Le jour de la finale j’étais prêt à en découdre et à aller chercher mon record.
Mais le facteur qui a tout déréglé ce jour là c’était la piste, qui glissait. A chaque fois que je venais impulser je glissais pourtant il faisait beau et il n’avait pas plu. Mais le tartan était usé là ou je venais poser mon dernier appui. Je me crispais à l’impulsion et je n’étais pas capable de m’exprimer complètement. Je fais 2 mètres 13, c’était moyen mais pas suffisant pour monter sur le podium qui était fait à partir de 2 mètres 16. Je venais de faire 2 mètres 16 la semaine précédente.
Donc la médaille c’est pour cette année aux Élites ?
J’espère (rires), en tout cas je fais tout pour.
On en vient maintenant à la sélection, puisque malgré cette médaille qui tarde un peu, tu as été sélectionné pour la première fois en Equipe de France. Qu’est ce que cela représente pour toi ?
Cela représente tout. C’est l’accomplissement de toutes ces années d’entraînement. J’imagine que tout athlète voulant faire du haut-niveau ambitionne de porter les couleurs de l’Equipe de France. Mon rêve s’est réalisé. Cela faisait un moment que j’attendais cela. J’ai parlé d’Albi. Ce concours là ouvrait à la Coupe du Monde par Equipe (Juillet 2018 à Londres). C’est ce que je visais à ce moment là. C’était beaucoup de frustration. Ne pas être sur le podium, manquer une sélection, c’était difficile à digérer. Il m’a fallu du temps pendant la pause estivale. Je me suis remobilisé pour passer au delà et repartir à fond. Petite satisfaction en octobre où l’on fait deuxième à la Coupe de France par Equipe.
« La prochaine sélection est en ligne de mire, clairement »
Une première sélection c’est magique. Je n’ai presque pas de mots. Ce que j’ai vécu là-bas c’était incroyable. L’organisation, tout ce que j’ai pu voir, je n’ai jamais connu ça. Cela donne envie d’y retourner. La prochaine sélection elle est en ligne de mire, clairement (ndlr : sélection validée pour la Coupe d’Europe par Equipe à l’issue de son titre en Elite).
C’était un format un peu particulier, différent du concours classique de saut en hauteur. Peux-tu nous expliquer un peu comment cela a fonctionné ?
C’était un face-à-face ou chacun choisissait sa barre en l’écrivant sur un papier pour que notre adversaire ne puisse pas la connaître. Ce n’est qu’à l’affichage de notre nom sur le tableau qu’on découvrait la barre choisie par l’adversaire. C’est là que démarrait le match.
« Il fallait être plus malin que gourmand »
En fonction de la réussite ou non de l’un ou de l’autre on remportait le duel. Si on passait tous les deux notre barre c’est celui qui franchissait la plus haute barre qui l’emportait. On avait trois duels ce qui constituait un classement et on gagnait ensuite des points pour l’équipe. C’était vraiment particulier. On concourrait pour nous mais surtout pour le collectif puisque on allait chercher des points et pas une performance directement. Il fallait être plus malin que gourmand.
Participer à une réussite collective dans un sport individuel, cela a une saveur particulière ? D’autant plus dans une Equipe de France qui est compétitive ?
Oui c’est motivant. Quand on est arrivé on pensait passer par la première poule de rattrapages et finalement on a accédé en demi-finale. On avait vraiment envie d’aller chercher un podium. On n’était pas là juste pour être là. On s’est manqué sur la phase finale mais on gardera beaucoup de bons souvenirs.
Tu penses que c’est une bonne chose que l’athlétisme se métamorphose un peu vers un athlétisme spectacle, dynamique et télévisuel ?
Bien-sûr. Cela fait déjà plusieurs années que les athlètes et dirigeants de la Fédération constatent que l’athlétisme n’est pas assez médiatisé. Je pense que ce format de compétition peut amener du public. Il y avait énormément de monde dans les gradins, je n’en ai jamais vu autant. On n’était pas sur des Jeux Olympiques. Ce n’est « que » des Jeux Européens mais il y avait beaucoup de monde.
« Il faut qu’on soit plus vus, plus reconnus »
J’ai eu beaucoup de discussions avec des gens qui me demandaient comment cela s’était déroulé. Le format intéresse. Beaucoup de gens ont voulu suivre l’événement à la télévision mais c’était compliqué (ndlr : La Chaîne l’Equipe a très peu diffusé l’athlétisme au bénéfice d’autres sports comme le judo). Je pense qu’avoir un nouveau format qui ouvre les portes à plus d’athlètes dans les différentes nations, cela peut être sympa. Il faut qu’on soit plus vus, plus reconnus. Moi j’ai adoré. Il faut que cela se diversifie.
Les Championnats de France Elite auront lieu fin juillet à Saint-Etienne. Tu es concentré là-dessus ? Si tu es au niveau des tes meilleurs concours de la saison la médaille semble une fois de plus dans tes cordes ?
Ouais là il y a clairement moyen de faire quelque chose. J’espère que cela se concrétisera là-bas. L’objectif c’est le podium. Ce que je voudrais cette année c’est clairement gagner, être le meilleur français. Je vise à la fois le titre et la meilleure performance française, donc aller au delà de 2 mètres 20. On est plusieurs à en être capable mais j’en suis aussi capable.
« Je veux vraiment être champion de France Elite »
On est un gros paquet de jeunes au dessus de 2 mètres 15, cela doit faire plusieurs années que ce n’était pas le cas. Je veux vraiment être champion de France Elite et à la clef aller chercher la sélection pour la Coupe d’Europe par Equipe. Je pense que c’est le meilleur français qui ira (ndlr : les modalités n’étaient pas communiquées, au choix de la DTN).
En gagnant ce serait donc double-plaisir ? Une première médaille du plus beau métal et une deuxième sélection en 2019 ?
Exactement, dans la même année ça serait fou.
Sur du plus long terme, le rêve ultime c’est de faire les Jeux Olympiques, un jour ?
Tokyo c’est très proche. Il y a Paris en 2024, j’espère que je serai encore apte à sauter (rires). C’est une question que l’on m’a souvent posé. Je l’ai toujours dit, je n’avais pas et je n’ai toujours pas le niveau pour. Il ne faut pas se leurrer. C’est dans un coin de ma tête mais j’ai envie de fonctionner pas à pas. Il y a d’autres échéances avant. Là je viens de faire une « petite » sélection. J’ai envie de petit à petit faire des compétitions internationales avant de me dire « tu es capable d’aller aux JO un jour ». Il faudrait se rapprocher voire faire 2 mètres 30. Je ne suis pas encore passé à 2 mètres 20 donc il y a du travail.
C’est vrai que l’on a peu parlé de la symbolique, du palier à 2 mètres 20.
C’est un vrai gros palier. Le premier que j’ai connu c’est 2 mètres. Je pensais m’arrêter là, je me disais que 2,10 c’était impossible. Lors d’un stage de Ligue, Yann Vaillant m’a demandé ce que j’espérais pour la saison. Je venais de faire 2,02 et j’espérais faire 2,10 dans la saison et ça n’a pas du tout été le cas. J’ai mis deux ans de plus avant de faire 2,10. Cela me paraissait invraisemblable.
« On ne s’arrête plus, on se voit progresser, on devient gourmand »
La première fois que j’ai passé 2,10 je suis passé de 2,06 à 2,12 (ndlr : il avait terminé cinquième aux France Espoirs à Aubagne en Juillet 2016). Je me suis donc dit qu’il fallait aller chercher le prochain palier avec 2 mètres 15 (rires). Deux ans après je m’en rapproche puis je fais 2,16 à Oordegem. Ensuite on ne s’arrête plus, on se voit progresser, on devient gourmand mais à raison. « J’ai fait 2 mètres 16, 4 centimètres c’est quoi ? C’est rien ». On peut donc faire 2,20 et ainsi de suite. Aujourd’hui je suis en quête des 2 mètres 20 puisque cet hiver j’ai fait 2,18. J’ai plusieurs fois raté 2,20 ou 2,21 de peu. Je ne lâcherai pas.
Tu as une petite sœur qui gravit les échelons. Rebecca Moustin-Aubatin est espoir première année mais a déjà terminé quatrième des France Espoirs (finaliste aux Élites depuis l’interview) et vice-championne de France chez les Juniors. Cela motive de voir sa sœur réussir elle aussi ?
Bien-sûr. On s’est toujours motivés, cela continue encore aujourd’hui. On est en concurrence saine (rires). A l’heure actuelle son objectif c’est de passer la barrière des 13 mètres (ndlr : barrière cassée depuis, Rebecca a réalisé 13 mètres 07 à Montgeron). On a tous des étapes dans nos disciplines et j’espère qu’elle y arrivera et que ça passera pour les Élites. D’ailleurs ce week-end elle a une compétition et je lui souhaite grandement de parvenir à son objectif.
« C’est elle qui a fait un podium aux Championnats de France avant moi »
On a toujours eu cette rivalité dans la performance. On prenait les barèmes et on regardait qui ferait une performance N4 en premier. Je crois que c’était moi le premier d’ailleurs (rires). Depuis on est passé à N3, N2, N1 et pourquoi pas IB (Internationale B) un jour, ce qu’on vise. Pour moi c’est 2 mètres 23 (ndlr : 14 mètres 00 pour elle), on y croit. Encore il y a quelques années j’imaginais ne jamais faire N1 (2 mètres 16) et maintenant j’y arrive presque régulièrement. C’est elle qui a fait un podium aux Championnats de France avant moi.
Notre arrivée à Amiens nous a aidés. Il nous fallait des entraînements un peu plus personnalisées. Le Beauvais OUC est un bon club de formation. On s’y entraîne tous en groupe, on était plus d’une trentaine. On a toujours tout fait ensemble, l’échauffement, les éducatifs. On avait que trente minutes de spécifique. A Amiens chacun a son coach de spécialité, on avait besoin de ça. C’est ce qu’on recherchait. En arrivant à Amiens pour les études supérieures, c’était idéal pour nous. C’est ce qui nous a fait progresser ensuite.
L’Amiens UC, malgré une année compliquée sur le plan collectif (descente en Elite 2), semble en phase de développement. Les athlètes témoignent du bon-vivre du club, dans un collectif plus familial qu’il n’y parait. Qu’est-ce que tu as à dire de cela ?
J’imagine que tu parles des Interclubs (rires). On avait toutes nos chances, c’est la beauté du sport et le jeu des Interclubs. L’Amiens UC c’est une belle famille. Je pense que cela résume bien l’ensemble, le fonctionnement des choses. Les jeunes et les grands parlent ensemble. On échange et partage beaucoup. Je trouve ça fabuleux. Même ceux qui ne sont pas spécialistes de ta discipline viennent t’encourager pendant tes concours, pour te soutenir quand ils le peuvent. C’est génial. Les plus grands partagent leurs expériences et c’est enrichissant.
La remontée en Elite 1 ne peut donc pas vous échapper en mai 2020 ?
J’espère, on essayera ensemble. Moi je croyais que le podium était pour nous cette année. Même après la première bulle j’étais déterminé mais ce n’était pas pour cette année. Nous attendrons.
Je tiens vraiment à remercier tout mon groupe qui est un soutien incroyable. Au delà de mon groupe, ma famille est également très importante. Ma mère, mes frères et ma sœur sont un soutien dont tout athlète a besoin. On ne peut pas évoluer seul dans le sport. On a besoin d’être épaulé et eux m’apportent constamment tout comme Mélanie (ndlr : sa copine).
Clairvoyant, presque visionnaire dans cet entretien réalisé le 12 juillet, celui qui se pose en nouveau leader national de sa discipline a mis la main sur cette médaille après laquelle il courrait, ou plutôt sautait depuis tant d’années. La quatorzième année athlétique de William, de loin la plus belle pour le moment, comptera donc un titre aux Championnats de France Elite et deux sélections en Equipe de France. Mais elle n’est pas terminée. En Pologne (9 – 11 Août), l’Amiénois risque d’avoir de nouvelles opportunités d’améliorer son record personnel et dans une année où tout semble lui sourire, il semble difficile d’imaginer un meilleur scénario.
Entretien réalisé le 12 juillet 2019.
Propos recueillis par Vincent Guyot
Crédits Photos : Amiens UC – A. Rubin / Gazettesports – Léandre Leber – Kévin Devigne