FOOTBALL : Simon Lucq : « Nous sommes prêts pour cette fin de saison »
Préparateur physique de l’Amiens SC, Simon Lucq a profité de l’ultime trêve internationale pour préparer le groupe amiénois au très attendu sprint final. En attendant, il revient sur la surprenante saison des Amiénois et évoque les cas de Guy N’Gosso, Quentin Cornette et Aboubakar Kamara.
En début de saison, vous récupérez un groupe avec des degrés de préparation très différents. Comment gère-t-on cela ?
Comme quand on construit une maison, c’est important de construire sur de bonnes fondations. Le fait d’avoir un gros cycle de préparation permet de tester les joueurs sur de nombreuses composantes. Cela nous permet de connaître leurs points forts et leurs points faibles. A un moment donné, le sportif de haut niveau ne peut pas s’exprimer de manière idéale sur l’aspect technique et physique, s’il est incapable de répéter les efforts. Si des joueurs sont dans des états de forme trop faibles, nous avons six semaines pour refaire d’eux des sportifs de haut niveau.
L’été dernier, le groupe n’a eu que trois semaines de repos, cela influence la préparation physique qui suit…
Complètement. Notre préparation physique a été très différente. Nous avons passé moins de temps sur les volumes de course et d’entraînement. Nous avons des joueurs qui étaient assez « fit » quand ils sont revenus. Contre Reims, cela se sentait que nous étions un peu plus frais. Nous avons été certainement prêts plus tôt que les autres équipes, mais il faut aussi savoir durer toute la saison. Il fallait donc mettre assez de diesel dans la machine pour durer toute la saison. Jusqu’ici, ça se passe plutôt bien, j’espère encore sourire en fin de saison.
En début de saison, on recherche également le bon équilibre entre charge de travail suffisante et le risque de surentraînement débouchant sur des blessures…
Nous sommes sur une charge d’entraînement qui évolue crescendo. Les volumes d’entraînement atteignent un pic à une certaine période, avant de diminuer à l’approche de la saison. Nous sommes sur des efforts spécifiques d’activité sur les dernières semaines de préparation. Cela doit permettre au corps d’encaisser et d’avoir une remise à niveau globale de l’effectif.
La trêve hivernale a quasiment été aussi longue que la trêve estivale, comment un préparateur physique appréhende-t-il cela ?
Mentalement, les joueurs avaient besoin de couper. Chaque joueur est donc parti avec un programme de reprise, plus individualisé pour certains d’entre eux. Les joueurs en période de réathlétisation ou en manque de temps de jeu, ne coupent pas forcément pendant les vacances. Je suis resté en contact avec eux pendant cette période. Quand ils sont revenus, nous mesurons la masse grasse et on peut ainsi mesurer les écarts et savoir ceux qui ont respecté le programme. Ensuite, nous avions fait un deal avec les joueurs. Ils avaient une préparation de reprise haute mais individualisée. Celui qui respectait bien son programme, il allait avoir une reprise plus évidente. Nous avions aussi fixé une séance-test la veille du match amical face à l’AC Amiens, les joueurs qui ne réussissaient pas cette séance ont eu une piqure de rappel sur le plan aérobie parce qu’ils n’étaient pas dans les clous que nous avions fixés pour être performants dès la reprise.
L’Amiens SC a été confronté à de grosses blessures cette saison, parmi lesquelles celles de Guy N’Gosso et Quentin Cornette. Comment gérez-vous leur retour à la compétition ?
Ils ont tous les deux eut de grosses blessures. Ils ont bien été pris en charge par le corps médical du club. Les kinés ont géré la phase de pré-réathlétisation, durant lesquelles nous avons pu avoir des informations sur les déséquilibres musculaires possibles. Une fois que le corps médical considère qu’ils sont aptes à reprendre un entraînement individuel, avec le préparateur physique, afin de subir certaines charges et contraintes induits par l’entraînement, ils passent à la phase d’athlétisation. Le but est alors de mener un travail individualisé adapté en fonction de la blessure qui a tenu le joueur éloigné des terrains. Il faut les remettre dans un cadre de sportif de haut niveau, en travaillant sur les manques liés à la blessure. Mentalement, Quentin et Guy sont deux joueurs différents mais tous les deux solides. Ils ne se sont pas laissés aller, en étant très sérieux avec les kinés. Maintenant, ils poursuivent le travail spécifique et le staff médical et le préparateur physique donnent leur avis en ce qui concerne leur retour à la compétition, le temps de jeu possible en fonction de leur avancée athlétique. Pour les deux joueurs, nous sommes sur de très bons délais, maintenant ils doivent retrouver du rythme mais c’est déjà très positif qu’ils aient retrouvé le terrain.
On dit souvent que la durée pour revenir à son meilleur niveau est similaire à la durée de la blessure. Confirmez-vous cette affirmation ?
Il y a tout d’abord le temps que l’on va mettre pour remettre le joueur dans un entraînement général et la possibilité de jouer. Ensuite, il y a le temps pour retrouver des sensations similaires à celles qu’il pouvait avoir à son pic de forme. Il faut aussi lui amener de la confiance, le rassurer sur le plan mental et doser le programme sur le plan athlétique. Une nouvelle fois, les données GPS sont très précieuses pour des joueurs revenant d’une blessure. Je prends l’exemple de Quentin, je sais ce qu’il est capable de faire en volume de course, en nombre de sprints et en seuil d’accélération sur un match de haut niveau. Quand un joueur reprend, on fait donc les bilans après les premiers matches et on regarde les points sur lesquels il faut travailler davantage.
On garde toujours à l’esprit le risque de rechute…
Le risque de blessure est inhérent au joueur professionnel. Je n’ai pas trop de recul sur cet aspect car cela ne nous est jamais arrivé. En tout cas, on reste en veille pour éviter ce genre de problème.
Le club aborde le sprint final avec des ambitions, comment trouvez-vous l’effectif sur le plan athlétique à ce niveau de la saison ?
Nous avons deux semaines où nous avons individualisé un maximum possible la préparation et la récupération. L’objectif étant qu’ils abordent les huit derniers matches à un pourcentage maximal de leur potentiel athlétique. Forcément, il y a une fatigue physique à prendre en compte mais aussi une fatigue mentale à appréhender et solutionner. Nous avons eu la chance d’avoir eu très peu de joueurs concernés par les trêves internationales (ndlr : seul Khaled Adenon a été sélectionné avec le Bénin). Nous les avons donc tous eu sous la main afin de prescrire l’entraînement désiré durant ces trêves. Cette saison a donc été complètement différente de ce que l’on pouvait vivre en National, ces dernières saisons. Nous étions toujours sur des microcycles de préparation. Nous avons eu la possibilité de retravailler pour un ultime cycle de huit semaines de compétition. Nous n’avons pas changé énormément de choses, nous observons beaucoup les données afin de travailler encore un peu plus de manière individuelle. Je tiens à noter que nous avons des joueurs professionnels qui ne rechignent pas à aller jouer en équipe réserve lorsque cela s’avère nécessaire. Il y a donc une concurrence dans le groupe qui tire tout le monde vers le haut. Je n’ai pas le sentiment que nous baissons le pied dans ce domaine. Nous sommes prêts pour cette fin de saison mais il faudra continuer à travailler, ne pas s’enflammer et garder la solidarité dont nous faisons preuve depuis le début de la saison.
Vous avez évoqué le changement induit par le passage du National en Ligue 2 sur les temps de préparation. Cela se ressent-il aussi au niveau de l’intensité physique des matches ?
Statistiquement, le ballon est bien plus souvent en jeu qu’en National. Il y a également beaucoup moins de phases arrêtées, ainsi qu’un arbitrage plus ouvert engageant davantage de duels. Forcément, cela augmente l’intensité des matches sur le plan aérobie. Nous avons des phases de jeu plus longues. Globalement, la manière dont on travaille n’est pas différente mais plus précise que la saison dernière. Nous avons des profils athlétiques qui progressent depuis le début de la saison, il faut féliciter les joueurs. Nous avons eu des longues discussions avec certains joueurs afin qu’ils se mettent un peu plus minables à l’entraînement. C’était indispensable pour qu’ils performent dans ce championnat. Sur certains matches, j’ai eu le sentiment que nous avons tendance à bien les terminer. C’est une réussite globale qui concerne le joueur, le staff médical et l’ensemble du staff technique. C’est une grande satisfaction.
Instinctivement, on pense aux matches remportés dans les dernières minutes face à Strasbourg (4-3) et Lens (2-1). Sur le banc, aviez-vous le sentiment que vos joueurs prenaient le dessus sur le plan physique ?
On cible ces matches-là, en raison du scénario de ces rencontres. Cela nous marque mais il n’y a pas eu que ces deux matches. Dans un autre aspect, un peu plus mental, j’ai également apprécié notre fin de match contre Bourg-en-Bresse (2-1). Nous étions un peu plus bloc bas, nous sommes dans la nécessité de conserver un résultat. A ce moment du match, nous enchaînons les courses en balayant bien toute la largeur du terrain. C’est tout aussi positif que la fin de match contre Lens. Ces courses, que nous sommes encore capables de faire dans le dernier quart d’heure du match, marquent peut-être mentalement nos adversaires. C’est un atout supplémentaire.
Aboubakar Kamara n’a pas joué pendant un mois en raison d’une suspension. Comment un préparateur physique gère un cas de figure finalement assez rare ?
Il fallait s’adapter. Avant sa suspension, le staff médical nous avait communiqué des données démontrant que le joueur était un peu atteint sur le plan musculaire. Cela nous a donc permis de mettre en place un contenu d’entraînement global sans vraiment surcompenser, afin de lui permettre de régénérer. Par contre, plus la fin de sa suspension se rapprochait, plus nous avons mis des séances supplémentaires à côté des entraînements collectifs. Aboubakar reste un gros profil sur le plan de la vitesse et des sprints, nous nous sommes donc assurés qu’il était toujours capable d’envoyer dans ce domaine.
A l’inverse, Junior Tallo est arrivé avec une gêne sur le plan musculaire. Comment appréhendez-vous la situation alors que le contexte l’oblige à être à la disposition de l’entraîneur ?
On échange un maximum avec le joueur. On tente de mettre en place des protocoles de prévention, notamment par rapport à ses ischio-jambiers qui sont un peu fragiles. Pendant les deux semaines de trêve, nous avons adapté au maximum la charge d’entraînement afin qu’il termine la saison dans les meilleures dispositions. Ensuite, nous avons de la chance parce que c’est un joueur qui se connaît bien. Il est dans un cycle de sportif de haut niveau depuis de nombreuses années. Ses retours sont donc très précieux.
Vous apparaissez très proche des joueurs. Il y a un rôle à jouer en dehors de votre fonction de préparateur physique ?
A l’instar de Romain (Poyet) ou Olivier (Lagarde), il y a un rôle de tampon et de relais à jouer entre les joueurs et l’entraîneur. Je ne peux pas concevoir le sport, même à très haut niveau, sans l’aventure humaine. Il faut donc savoir être sérieux, sans trop se prendre au sérieux. Il faut donc partager des choses avec les joueurs à côté de l’entraînement. Cela permet de bien les connaître sur la manière dont ils vivent à côté de l’entraînement. Ce sont des indices qui peuvent s’avérer déterminantes. Un joueur qui vient d’avoir un enfant, cela peut l’amener à avoir des nuits assez perturbées. Nous sommes donc plus vigilants afin de ne pas l’envoyer dans des seuils de risque de blessure. La problématique est la même pour les joueurs qui font le ramadan. L’idée n’est pas de les exempter d’entraînement, il faut être vigilant sur leur capacité à se réhydrater et les charges d’entraînements qu’on leur propose.
D’après vous, à quelle place va terminer l’Amiens SC ?
Le plus haut possible ! C’est important pour les joueurs, le staff et plus globalement tout le monde à l’échelle du club, de faire la meilleure fin de saison possible. Comme le dit souvent l’entraîneur, il faut mettre un maximum de choses en place pour emmerder le plus possible l’adversaire. Pour autant, nous avons le droit de tomber sur plus fort que nous. L’enjeu est de pouvoir se regarder dans un miroir en fin de saison en se disant : ’’nous avons tout donné’’. Il ne faut pas se prendre la tête par rapport à ce que nous pouvons jouer. Si nous parvenons à garder notre ligne de conduite, il y a aura peut-être quelque chose d’historique pour le club. Ce sont des choses qui doivent se faire naturellement. Nous finirons là où nous devrons finir. En attendant, l’objectif du club a été atteint mais maintenant l’appétit vient en mangeant. Quoi qu’il en soit, cette saison aura forgé quelque chose de fort pour l’ensemble du club.
Propos recueillis par Romain PECHON
Retrouvez la première partie de l’interview concernant le parcours de Simon Lucq et la vision de son métier
FOOTBALL : A la découverte de Simon Lucq, préparateur physique de l’Amiens SC