Après avoir longuement évoqué son départ avec Jérôme Jean, voici la deuxième partie de notre entretien avec l’emblématique speaker de l’Amiens SC qui vient de tirer sa révérence, où il se remémore ces 17 années au travers plusieurs moments forts.
Que retiendrez-vous de tout ce temps passé comme speaker ? Quel bilan en faites-vous ?
C’est impossible de faire un bilan tellement il est, émotionnellement et en termes de souvenirs… Et encore plus aujourd’hui parce que je sais que c’est la fin. Il y a tellement de bons moments. Alors, il y a un bon moment que je n’oublierai jamais, c’est la montée à Reims. J’ai regardé les images encore tout à l’heure. Il y a beaucoup d’émotion, j’ai les poils qui se dressent. C’est juste fabuleux. En plus, il y a des vidéos d’un peu partout, faites dans les tribunes par les supporters, j’en reçois régulièrement. J’ai toujours autant d’émotions. J’ai toujours peur que Bourgaud ne mette pas le but quand je revois la fin du match. Surtout qu’il m’a dit que quand le ballon arrive, il a juste à peine le temps de contrôler et il me dit « Je ferme les yeux et je frappe ». Je lui dis « Non, tu peux pas fermer les yeux », parfois, même, je le dispute alors qu’il l’a marqué il y a déjà quatre ans. Mais j’ai l’impression de le revivre à chaque fois. Donc Reims reste mon plus beau souvenir de football, qui a balayé France 1998, par sa force. Parce que quand on fait ce qu’on fait et qu’on soutient une ville, un club comme Amiens qui, sur la place du football français, on l’a vu il n’y a pas longtemps, ne représente pas grand chose… Mais à la limite, on s’en fout (sic), on n’est pas là pour être présents sur le plan national mais pour défendre les intérêts de ce club et se battre. Donc évidemment, quand on bat Reims à la 96ème minute et qu’on monte en L1 alors que le club existe depuis plus de 120 ans, je pense qu’on a touché le Graal. C’est à jamais gravé dans mon cœur, je ne l’oublierai jamais. Ça c’est mon meilleur moment.
Quand on bat Reims à la 96ème minute et qu’on monte en L1 alors que le club existe depuis plus de 120 ans, je pense qu’on a touché le Graal. C’est à jamais gravé dans mon cœur, je ne l’oublierai jamais.
Après, ce que j’en retiens, et ça, c’est très propre à Amiens et c’est ce qui rend l’aventure formidable, c’est que tout est possible dans ce club, dans cette ville, avec ces supporters-là. On a tout tenté, parfois ça a marché, parfois ça n’a pas marché, mais globalement, on a réussi des coups extraordinaires parce qu’on avait autour de nous une espèce d’union sacrée : partenaires, dirigeants, bénévoles, sportifs, tout le monde tirait dans le même sens. Ça a parfois été difficile de les convaincre, mais tout le monde tirait dans le même sens. C’est aussi pour ça qu’on a été chercher cette montée à la 96ème. On nous avait dit qu’on ne resterait pas en L2, en effet, on est monté en L1. On aime bien taper sur Amiens, c’est plus facile que de taper sur les grands clubs français. Amiens mériterait d’être un grand club français, j’espère qu’il le deviendra. À Amiens, tout est possible, il suffit de s’en donner les moyens, c’est grâce à ça qu’on a réussi à soulever des montagnes.
Au-delà de la montée à Reims, quels sont vos souvenirs particulièrement marquants ?
Il y en a plein. En 2016, à la mi-temps, on avait organisé un truc sympa pour un supporter qui travaillait au stade, comme stadier, et qui avait sa compagne hôtesse au stade. Ils se sont rencontrés au stade et un jour, il m’a envoyé un message en me disant « je suis un passionné de foot, j’adore l’Amiens SC, j’ai envie de demander ma compagne en mariage, est-ce qu’on pourrait le faire à la mi-temps ? » Donc, on l’a fait venir en bord de terrain, sans qu’elle sache pour quoi et lui est rentré sur le terrain par une « faille » avec son maillot de l’Amiens SC. On lui a tendu le micro, il lui a lu un message, c’était extraordinaire d’émotion, elle n’en revenait pas. Et surtout, quand il a terminé sa demande en mariage, il y a quasiment 8 000 spectateurs qui l’ont applaudi. Je peux vous assurer qu’il y a plein de stade en France où c’est impossible.
Après, la descente en National à Boulogne-sur-Mer, ça fait partie de la vie du club. Quand Boulogne monte en L1 et qu’on descend en National, vous avez un mariage et un enterrement le même jour, à la même heure, au même moment. Nous, on pleure de tristesse, eux, ils pleurent de joie. C’est un souvenir que je n’oublierai jamais.
La saison avec Olivier Echouafni, c’est incroyable, aussi. On est en passe de descendre en CFA. Et puis on a réussi à créer un électro-choc en allant chercher les anciens : Troch, Baticle… que j’avais contacté, qu’on a du mal à convaincre. Ce sont des passionnés ces gens-là. On avait pris Oscar Ewolo, aussi. J’avais fait se rencontrer les supporters dans leur local, on avait fait des réunions pour essayer d’inverser la tendance. Et on a inversé la tendance !
Le match contre le PSG ! On m’a envoyé les vidéos récemment. Quand j’annonce le but de Diabaté et que je dis « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs : Amiens 3, Paris 0 ». Qu’est-ce que vous voulez que je vous raconte, ces moments-là, ils suffit de les regarder, de les écouter. Et des moments comme cela, il y en a plein. Le but à Strasbourg d’Aboubakar Kamara, j’y suis, je prends le train pour y aller parce qu’après je présente un tirage au sort de Coupe de France et une émission pour Eurosport à Grenoble. Et là, Kamara qui nous met ce but à la dernière seconde de jeu, dans un stade qui s’est éteint d’un seul coup alors que tout le monde croyait qu’ils montaient en L2 et faisaient la fête. Et cette saison-là, on est monté. J’ai des souvenirs improbables avec Amiens, je crois qu’on pourrait écrire un bouquin.
Pour finir, auriez-vous une petite anecdote insolite à nous raconter ?
L’année où l’on est monté en Ligue 1, notre premier match, on le joue au Parc. Le PSG fait signer un joueur extraordinaire que tout le monde connaît et qui vient de prolonger. J’accompagne les joueurs, le staff, le président, j’arrive au Parc des Princes, je me retrouve sur la pelouse, super moment, génial, c’est incontestable, souvenir fabuleux. Le stade est plein. D’ailleurs, il y avait plus de monde avant le match qu’au moment où le match a démarré parce qu’il y avait tout un tas de gens qui étaient plus là pour voir Neymar que pour voir le match. Pendant que nos joueurs sont au vestiaire et préparent le match, lui arrive. Je suis très copain avec le speaker du PSG, Michel Montana, qui m’explique qu’il va y avoir un truc sympa. Neymar entre, je commence à le filmer, je suis un peu impressionné. Il y a plein de monde, il est ovationné dans le stade, c’est un événement pour le foot français. Plein de chaînes de télévision, de radios sont en direct.
Je me dis que j’aimerais bien faire une petite photo, un petit selfie avec lui (Neymar, ndlr). Par contre, il faut que je trouve le moment. Déontologiquement, je ne me vois pas le faire au bord du terrain, parce que je représente mon club et qu’aujourd’hui, le PSG est mon adversaire.
Et puis, je me dis que j’aimerais bien faire une petite photo, un petit selfie avec lui. Par contre, il faut que je trouve le moment. Déontologiquement, je ne me vois pas le faire au bord du terrain, parce que je représente mon club et qu’aujourd’hui, le PSG est mon adversaire. Donc, je vais attendre le moment opportun, c’est-à-dire le moment où il va passer sous le tunnel avant de rentrer au vestiaire. Parce que je ne pourrai pas aller au vestiaire, c’est une certitude. Donc, j’attends qu’il fasse son tour de stade, il arrive devant les serpentins avec écrit PSG qui accompagne l’entrée et la sortie des joueurs, il fait demi-tour. Il repart vers la tribune Boulogne, donne son maillot, « merde » (sic). Il revient, je m’approche de lui, discrètement je commence à lui parler et on rentre dans le tunnel. Et je lui dis « est-ce que c’est possible de prendre une photo ? » et là, mon appareil photo déconne et, je ne comprends pas pourquoi, il filme au lieu de faire une photo. Ça dure 5 secondes, je lui dis « Welcome in France » parce que je ne sais plus quoi lui dire et que je vois que ça filme. Et puis, il part, il me remercie et rentre au vestiaire. Bon, j’ai une vidéo.
Je lève la tête, je vois 1 SMS, 2 SMS, 3 SMS, 4 SMS, 5 SMS, 10, 15… Le problème, pour moi, c’est qu’effectivement, il n’y avait pas de public qui me voyait à l’endroit où j’étais, mais il y avait 4 ou 5 caméras et BFM, CNews, LCI étaient en direct. Et au moment où on rentre dans le tunnel, toutes les chaînes de télé nous filment lui et moi parce qu’on n’est plus que tous les deux. Donc ça, ça a fait le tour, ça a été repris partout.
Ce qu’il faut que vous sachiez, et que je peux désormais le dire, j’ai reçu peut-être 80-90 SMS, parce que, pour le coup, moi qui voulais que ce soit fait discrètement… mais surtout, une semaine plus tard, le PSG a écrit à l’Amiens SC pour dénoncer l’attitude qui avait été la mienne, c’est-à-dire qu’ils considéraient que le fait que je veuille faire une photo avec Neymar abîmait l’image du PSG et dénaturait la Ligue 1. Et depuis ce match-là, je n’ai plus le droit d’aller au Parc des Princes. Mais je m’en fous (sic), j’ai ma photo avec Neymar, qui en fait est une vidéo !
Morgan Chaumier
Crédit photos : Léandre Leber – Gazettesports