Philippe Sinault, fondateur de Signatech, est à la fois l’organisateur de l’Alpine Elf Europa Cup, le championnat où l’Amiénoise Lilou Wadoux progresse à chaque sortie, et le partenaire d’Alpine, qui prépare une année 2021 excitante, avec son arrivée en Formule 1 et son retour aux 24 Heures du Mans, en LMP1, la catégorie reine.
Présente en Endurance depuis 2013, l’équipe Signatech Alpine a remporté deux titres européens, deux couronnes mondiales et trois courses en LMP2, aux 24 Heures du Mans. Mais 2021 va voir Alpine accélérer, en succédant à sa « maison-mère » Renault comme motoriste en Formule 1 et en engageant un prototype LMP1. L’occasion pour Signatech, basée à Bourges (Cher), d’affirmer encore davantage sa présence aux côtés d’Alpine.
Philippe Sinault, fondateur du groupe Signature, dont Signatech est la filiale qu’il dirige, est fier que son équipe ait conçu et créé, à partir de la voiture de route produite par Alpine, des véhicules de compétition clients en trois versions : l’A110 Cup, la GT4, « extrapolation un peu supérieure de la Cup » et la RGT qui officie en rallye. Pour gazettesports, il fait le point sur la popularité d’Alpine et sur ses hautes ambitions, sur la place des jeunes et des femmes en sport auto et sur Lilou Wadoux, qui a, selon lui, « une belle carte à jouer ».
– Comment expliquez-vous le côté si populaire d’Alpine, qui rappelle le phénomène Poulidor, un champion que les Français n’ont jamais oublié ?
Philippe Sinault : « Poulidor, c’est un nom qui fait rêver, qui évoque des émotions. Alpine, c’est exactement le même contexte, le même principe. C’est du vintage, mais surtout de l’émotion partagée. Regardez David contre Goliath, Poulidor face à Merckx, Alpine opposée à Porsche ! C’est ce qui a animé l’esprit gaulois qui régnait pendant les Trente Glorieuses ».
– Et la marque Alpine a connu un renouveau spectaculaire ces dernières années ?
Ph. S. : « Il y a eu un serpent de mer… J’ai toujours dit que si un jour je devenais magicien, je referais voler le Concorde, je remettrais le paquebot France à flots et je relancerais la marque Alpine ! Au final, j’ai aidé à mener à bien l’un des trois volets de ce triptyque. C’est ça le sujet ! Raconter une belle histoire… Je suis un passionné de course automobile. Si demain vous me demandez de faire courir des Ferrari, je le ferai… Mais pour moi, il y a une autre dimension avec Alpine, c’est qu’on raconte une vraie belle histoire qui fédère, car il y a une vraie attente ! Alpine a été le sujet serpent de mer pendant les 35 années d’absence de la marque en compétition (NDLR : de 1978 à 2013). Et tout d’un coup, Alpine est repartie via notre engagement en compétition. C’est notre fierté, de l’avoir relancée en sport automobile, là par où elle était arrivée en 1955. L’ADN de la marque étant le sport, on l’a relancée de la même façon. C’est la mission que nous avait confiée Carlos Tavares et Renault à l’époque. Mais attention ! Nous ne sommes pas Alpine, nous sommes Signatech et nous avons une relation de partenariat. Et plus, je dirais une relation de confiance. Aujourd’hui, Signatech est l’incarnation très très marquée d’Alpine en matière de sport ».
« Le terrain de jeu va augmenter »
– Parlez-nous de l’arrivée annoncée d’Alpine en Formule 1 ?
Ph. S. : « La nouvelle direction de Renault a eu la réflexion de se dire que tout ce qui avait un caractère sportif chez Renault serait beaucoup plus efficace, en termes de nom et de portée, en portant le nom d’Alpine. Renault, ce sont de très bonnes voitures de tous les jours. Alpine devient l’incarnation du sport de l’univers Renault. Comme AMG l’est pour Mercedes, M pour BMW, Abarth pour Fiat, RS pour Porsche etc. »
– La F1 sera le fer de lance qui doit tirer vers le haut la marque Alpine ?
Ph. S. : « Exactement ! »
– En attendant, quel regard portez-vous sur l’Alpine Elf Europa Cup, qui en est à sa troisième saison ? Et comment envisagez-vous l’avenir avec les nouveaux défis qui attendent Alpine ?
Ph. S. : « Durant ce premier cycle de trois ans, nous avons porté le projet en tant que promoteur privé, avec une sorte de concession de la part d’Alpine pour utiliser le nom et pour travailler sur des voitures de série que nous transformons en voitures de course. Nous organisons nous-mêmes le championnat Alpine Elf Europa Cup (AEEC). Là, la dimension va être tout autre… Avec l’ADN de la marque Alpine -le sport- mais avec cet élan et un positionnement plus ambitieux pour la marque, forcément le terrain de jeu va augmenter…comme le sentiment d’appartenance de nos futurs clients. Aujourd’hui, nous sommes une petite communauté avec 36 pilotes, mais on partage tous la même passion ! Les gens qui suivent ce championnat depuis trois ans sont comme des pionniers, qui ont cru à l’histoire dès le début ».
« La voiture de Lilou, il ne faut surtout pas la peindre en rose ! »
– Sur le plan des résultats, cela peut paraître surprenant que ce soit des juniors, donc des pilotes de moins de 25 ans, voire de moins de 20 ans qui trustent les podiums, surtout cette saison ?
Ph. S. : « C’est un excellent signe que l’on envoie. On l’oublie, mais le sport automobile est un sport ! Si je cours un 10 000 mètres, il y a beaucoup de jeunes qui vont me doubler. Je veux dire que l’on remet un peu le sport au centre des débats. Ce championnat Alpine Elf Europa Cup n’est pas un hobby, juste pour s’amuser ! Cela signifie aussi qu’Alpine est une marque à fort potentiel auprès des jeunes. Ils s’amusent…sérieusement ! Tout cela est extrêmement positif et de bon augure. Vous savez, quand Alpine a sorti sa nouvelle voiture, on l’a facilement vendue aux anciens, qui attendaient le renouveau de la marque. Aujourd’hui, ces jeunes pilotes, comme Jean-Baptiste (Méla), Lilou (Wadoux), Edwin (Traynard) sont les meilleurs ambassadeurs d’Alpine, c’est juste génial ! »
– Vous avez cité Lilou Wadoux, la jeune amiénoise de 19 ans, qui participe à sa première saison en AEEC…
Ph. S. : « Le sport automobile est l’un des rares, peut-être même le seul avec l’équitation, dans lequel hommes et femmes concourent ensemble. C’est un vrai sujet que l’on connaît bien, d’abord parce qu’Alexandra (Jentet) qui organise l’Alpine Elf Europa Cup, a fait partie de la commission Women in Motorsport au sein de la Fédération internationale automobile. Et aussi car nous sommes impliqués dans un autre programme sportif où l’on fait courir une voiture aux 24 Heures du Mans avec un équipage 100% féminin. Mais c’est vrai que de par l’éducation et notre culture, l’accessibilité des femmes à ce sport est difficile, c’est indéniable. A cause de tous les clichés qui veulent que les filles jouent plus à la poupée qu’aux petites voitures etc. C’est un fait. Alors, au-delà du marketing pur d’avoir une fille dans une auto -on sait tous que c’est un super outil, sympa, un bon clin d’œil-, ça, je m’en fou (sic) honnêtement ! Ce qui m’intéresse, c’est Lilou en tant que sportive et que pilote. Sa voiture, il ne faut surtout pas la peindre en rose ! Il faut qu’elle soit bleue, parce que c’est la couleur historique d’Alpine et il faut qu’elle soit en bonne position sur la grille de départ, comme elle l’a été le week-end dernier à Magny-Cours (NDLR : Lilou Wadoux s’est classée 4ème des deux courses). C’est ce qui est beau, voilà la vraie histoire à raconter. Après, que ce soit une fille, il faut s’en servir comme étendard pour inciter les jeunes filles à se dire : c’est possible ! »
« Avec Gilles Zaffini et Alexandra Jentet, en la regardant dans les yeux, on a senti que Lilou avait envie… »
– Et comment avez-vous découvert Lilou Wadoux ?
Ph. S. : « C’est Alexandra (Jentet) qui m’avait dit que ce serait bien que je la rencontre. Gilles (NDLR : Zaffini, le patron d’Autosport GP, l’écurie de la Samarienne) avait envie de la faire rouler. Et mon frère Patrick, qui travaille avec moi, travaille aussi pour Peugeot en organisant des courses. Il connaissait un peu Lilou. On est dans un petit monde, vous savez, une niche, donc les gens qui ont du talent sont forcément, à un moment, mis en lumière. Et c’est de son talent, plus du fait qu’elle est une femme, dont on m’a parlé. Je suis venu la voir à Magny-Cours lors d’essais privés et avec Gilles Zaffini on s’est dit qu’il fallait qu’on essaye de la faire rouler, parce qu’elle a quelque chose dans les yeux qui fait qu’on a senti qu’elle avait envie ».
– Le fait qu’elle soit une femme est un plus pour vous ?
Ph. S. : Oui, parce qu’on vit dans un monde d’image et de marketing. Mais sa qualité première, c’est de faire un tour de circuit à Magny-Cours en 1 min 48 sec ! (NDLR : 1 min 49 001 précisément pour son meilleur tour dans la course 2, le 13 septembre). Elle est « vite » comme on dit dans le jargon, presque aussi rapide que Jean-Baptiste (Mela, vainqueur des deux courses de Magny-Cours) dont c’est la troisième saison en AEEC ! Donc c’est top pour elle ! C’est une bonne sportive, elle a un très bon encadrement technique et en plus son histoire est belle, donc ça me plaît ! »
– Et quel avenir vous voyez pour Lilou Wadoux ?
Ph. S. : « Comme dans tous les sports de haut niveau et au format ultra-pyramidal, l’avenir est incertain. Mais Lilou sera sous les feux des projecteurs en étant à la fois dans une Alpine, en étant rapide et en étant une fille. Donc elle a des facteurs de réussite et elle a… comment dire ? Un alignement d’étoiles qui peuvent l’aider. Mais il faut qu’elle reste dans cette dynamique. Vous savez, Alpine va être présente en F1, en Endurance, en rallyes, en GT4, en Europa Cup… Je crois que ce sera le constructeur présent dans le plus de catégories alors Lilou a une belle carte à jouer !
Mais en premier lieu, direction les 24H du Mans qui ont lieu ce week-end !
Pour retrouver Lilou Wadoux sur un circuit, il faudra attendre le premier week-end d’octobre sur le circuit Paul Ricard du Castellet.
LE CLASSEMENT GENERAL DE L’AEEC
1. Jean-Baptiste Mela (Autosport GP – Junior) 86 points
2. Matéo Herrero (Herrero Racing by Milan Competition – Junior) 64 points
3. Pierre Sancinéna (Racing Technology)
et Laurent Hurgon (Autosport GP) 58 points
5. Marc Guillot (HRMC) 38 points
6. Edwin Traynard (Autosport GP – Junior) 37 points
7. Lilou Wadoux (Autosport GP – Junior) 36 points
8. Gosia Rdest (POL – Racing Technology) 16 points
9. Louis Méric (HRMC) 15 points
10. Philippe Bourgois (BEL – Racing Technology) 12 points
11. Anthony Fournier (Race Cars Consulting) ,Yves Lemaître (Mirage Racing)
et Stéphane Auriacombe (HRMC) 7 points
14. Franc Rouxel (HRMC) 5 points
15. Pierre Macchi (Autosport GP ) 4 points
Un regard rapide sur la jeunesse :
4 juniors dans les 7 (1-2-6-7)
2 juniors sur le podium (1-2)
4 pilotes autosport gp dont 3 juniors dans les 7 (1-3-6-7)
Interview signée Léandre Leber
Rédaction : Vincent Delorme
Photos : Léandre Leber – Gazettesports et DPPI / Jean Michel Le Meur