Dans une période où le football et le sport sont logiquement relégués à la maison et au second plan, Benoît Sturbois, coach des Portugais d’Amiens, nous partage tout de même sa manière d’aborder la situation et d’envisager la suite.
Bonjour, comment vivez-vous cette période actuelle ?
A l’heure actuelle, ma préoccupation principale, ce n’est pas le football. Mais on essaie de garder un lien avec les joueurs, on est en contact régulier avec les dirigeants, le président. On a un groupe Whatsapp sur lequel on essaie de dédramatiser un peu la situation et, en même temps, d’inciter les joueurs à bien rester chez eux. On leur a donné un planning à suivre pour qu’ils puissent garder la forme. Aussi bien pour le football que pour garder le moral parce que ce n’est pas forcément évident de rester confiné à la maison. Donc, c’est un planning qui peut être suivi à la maison. L’idée, c’est vraiment de garder ce lien social avec eux, de montrer que l’on est là dans la difficulté.
Maintenant, en ce qui concerne le championnat, il n’y a encore rien d’acté. on entend que le District de Somme voudrait faire une saison blanche. La Fédération Française de Football et la Ligue veulent continuer les championnats jusqu’à mi-juillet. On est tributaires de ce qui va se passer. C’est un peu délicat parce qu’avec la Ligue du Grand-Est, on est la région la plus en retard sur le championnat, et des joueurs ont déjà prévu des vacances, cela va fausser le championnat. Il va y avoir des joueurs qui ne seront plus disponibles à partir d’un certain moment.
On se demande si cette pandémie s’arrêtera assez tôt pour qu’on puisse reprendre dans les délais qu’ils se sont fixés. C’est une question qui reste en suspens. C’est délicat parce qu’on ne peut pas anticiper parce que personne ne sait quand cela va se terminer.
Quel scénario privilégieriez-vous ?
Pour être honnête, c’est plus facile pour nous qui sommes en fin de peloton de dire que l’on voudrait une saison blanche puisque cela permettrait de partir sur de bonnes bases et à zéro. Ceux qui sont en haut préféreraient se caler sur les matchs allers, ceux qui sont en bonne position pour jouer la montée vont eux vouloir que le championnat se termine. Mais, j’aurais tenu le même discours si on avait été en haut du championnat, pour être le plus équitable possible, une saison blanche serait, je pense, la meilleure solution.
Une saison blanche serait, je pense, la meilleure solution.
Maintenant, si la possibilité de terminer le championnat se présente et que cela ne provoque aucune difficulté pour les clubs à mobiliser leurs joueurs… Mais il y aura peut-être des matchs en semaine, il y a des joueurs qui travaillent, c’est compliqué de les mobiliser. Si on va trop loin dans le temps, on risque de se confronter à des personnes qui ont déjà posé leurs congés, et je suis dans ce cas, et qui devront soit annuler leur vacances, soit qui ne pourront pas être présentes.
Ce serait quand même problématique en termes d’équité sportive…
Cela revient à inverser le problème. Si l’on fait une saison blanche, certains vont se sentir lésés, mais si on continue le championnat, ce seront d’autres équipes qui pourront se sentir lésées. Dans tous les cas, il y aura des équipes lésées. A partir de là, il faut chercher la solution qui pourrait, quand même, être la plus équitable. Et en remettant tout le monde à zéro l’année prochaine, cela permettrait aux équipes de connaître leur championnat, leurs adversaires. Il n’y aura peut-être plus d’effet de surprise ou de facteur chance chez certains clubs mais, au moins, ce serait des choses moins délicates que le fait de manquer de joueurs à la fin du championnat. Des choses qui sont difficilement gérables pour nous, les entraîneurs.
Alors que si l’on reprend le championnat à zéro, c’est différent, on repart sur une préparation. Cela peut permettre de faire un vrai recrutement cet été. Cela peut permettre à tout le monde de se réorganiser et surtout que tout le monde puisse le faire de la même façon, tout le monde aura les mêmes possibilités, avec les mêmes dates de recrutement, de démission. Alors que si on termine le championnat, il y a des clubs pour qui ça ne posera pas de problème de jouer en semaine et de terminer mi-juillet alors qu’il y en aura d’autres pour qui cela posera des problèmes.
L’autre problématique, c’est que, d’un point de vue physique, cela risque d’être impossible de reprendre la compétition immédiatement après la fin du confinement ?
Entièrement d’accord. C’est ce dont je discutais avec le président. La problématique qui se pose, c’est qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait. Si on avait la possibilité de faire une pré-préparation en se disant que l’on va pouvoir reprendre l’entraînement dans 15 jours donc, on pourrait partir sur de la prévention musculaire, du renforcement athlétique, de sorte à préparer les joueurs à ce que l’on fasse une reprise d’une ou deux semaines. Là, ça irait.
Mais, là, on est dans l’expectative, on ne sait pas. Il est compliqué de faire un travail athlétique sans connaître la date de reprise. Quand on la connaîtra, en fonction du temps que cela aura duré, est-ce que l’on aura été assez en profondeur dans les choses pour que les joueurs soient aptes à revenir et à faire une préparation ?
Il faut arrêter de vouloir suivre les ligues professionnelles, on est des amateurs.
Il ne faut pas se voiler la face, on a déjà eu 15 jours de confinement d’annoncé, on entend qu’il sera prolongé. Dans le meilleur des cas, on sera confiné un mois. Un mois d’arrêt, c’est presque une trêve estivale. Donc, on sera obligés de passer par une préparation. le fait de faire jouer les joueurs sans préparation entre le laps de temps où l’on peut sortir de chez nous et la reprise effective du championnat, cela risque de favoriser les blessures et les méformes. D’autant plus que, il faut arrêter de vouloir suivre les ligues professionnelles là-dessus, on est des amateurs. Si, à la rigueur, on avait la possibilité d’avoir tout le monde sur le pont dès la reprise. Mais, là, ce ne sera pas le cas. Il y aura des gens qui travailleront, qui auront une présence discontinue aux entraînements en fonction de leurs obligations professionnelles. Tout le monde ne pourra pas être sur un pied d’égalité, tous les joueurs n’auront pas la même préparation et tout ce que cela peut engendrer, ce sont des blessures et des absences. C’est une problématique trop lourde pour nous, les clubs amateurs.
Avez-vous une idée des conséquences que cela pourrait avoir à l’échelle du club dans son ensemble ?
Cela n’engage que moi, mais ce sont des choses dont on discute. En tant que club amateur, on fonctionne avec des subventions allouées par la Métropole qui sont un vrai effort de leur part mais qui ne sont pas énormes et qui nous obligent à travailler à côté avec des partenaires privés et avec la buvette pour faire vivre le club. Là, tout est figé, la buvette ne tourne pas, les soirées que l’on peut faire avec les joueurs et qui rapportent un peu d’argent ne sont pas possibles en ce moment. Donc, aujourd’hui, financièrement, il est clair que tout est au point mort, au même titre que l’ensemble de l’économie. En l’état actuel des choses, ce n’est pas grandement dommageable parce que l’on ne parle pas de centaines de milliers d’euros mais cela va avoir un impact.
Cela va avoir un impact relationnel. Même si l’on essaye de conserver un lien social, cette coupure va nous obliger à re-fédérer. Il va falloir aussi que les gens n’aient pas peur de l’après virus. Le confinement sera levé à un moment, mais est-ce que les joueurs ne vont pas se dire « ce n’est pas encore terminé, je peux encore l’attraper » ? Il risque d’y avoir cette peur.
Avec tous les éducateurs, on essaie de garder le contact avec les joueurs et les parents pour que tout reparte comme précédemment mais comme le disait le Président de la République à la télé, il y aura un avant-virus et un après-virus. Maintenant, comment on va être impacté, nous, bien malin qui pourra le prédire. On est comme tout le monde, on attend de voir comment les choses vont se passer et si tout va pouvoir reprendre normalement, ce dont je doute énormément. En tout cas, cela prendra du temps avant que tout ne se passe correctement. L’impact que cela aura sur le club, c’est le temps qui nous le dira.
Morgan Chaumier
Crédit photo : Audrey Louette – Gazettesports