Aujourd’hui, Gazette Sport vous propose la première partie d’un entretien au long cours avec quatre membres de la famille Sellier, afin d’évoquer le bénévolat dans le sport. En l’occurrence, dans le tennis de table, à l’ASTT, avec Jean-Robert et Arnaud dans ce premier volet.
Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre passé sportif ?
Arnaud (39 ans) : Pour ma part, j’ai commencé par jouer au tennis pendant trois ans sans gagner beaucoup de matchs. En parallèle je me suis mis au tennis de table où je gagnais tous mes matchs. Donc très rapidement, j’ai fait le choix du tennis de table. J’ai débuté au club de Doullens, et après une année, les entraîneurs du club d’Amiens m’ont demandé de venir. On est en 1988 à ce moment-là, tout le début de ma carrière c’est un parcours de joueur classique. Je venais m’entraîner ici deux à trois fois par semaine, mon père m’emmenait puisque l’on habitait à 20 kilomètres d’Amiens. Et comme à peu près tous les parents de joueurs, petit à petit il s’est impliqué dans la vie du club. Il y a une vingtaine d’années il a fini par rentrer au comité directeur du club.
Jean-Robert (68 ans) : Oui c’est cela. Même si, petit à petit je m’investissais de moins en moins, pensant laisser ma place à d’autres, et je m’impliquais de façon très épisodique disons. Malgré ça l’investissement est quand même complet en ce qui me concerne, puisque ça fait déjà 23 ans que je suis dans le juge arbitrage.
Pouvez-vous nous décrire vos fonctions au sein du club ?
Jean-Robert : Depuis ce temps-là je rends service parce que le club a besoin de juges arbitres alors je remplis cette fonction. Je vais donc arbitrer des rencontres par équipes ou parfois individuelles. C’est une nécessité impérieuse pour l’ASTT d’avoir des juges arbitres puisque les ligues et les fédérations imposent cela aux clubs.
Donc je continue, mais le fait que je sois en retraite me donne de la disponibilité et ça me permet aussi d’aller au-devant du monde sportif et associatif, ce qui est une bonne chose pour moi, je n’imagine pas un instant vivre en ermite. J’ai besoin d’aller vers l’extérieur, d’être au contact de jeunes. Sur le plan sportif j’ai été complètement satisfait. J’ai passé de très belles années avec mes enfants dans le tennis de table.
Arnaud : En 2003, je deviens tout à fait autonome et je viens tout seul ici. Je me débrouille et dès 18-19 ans je commence à entraîner. Transmettre, ça me plaisait, et puis je me sentais bien ici, j’avais envie d’être utile. La même année je rentre à mon tour au comité directeur du club pour gérer les équipes dans un premier temps puisque c’est ce qui me plaisait. Donc au début je gère les équipes : je cherche des joueurs et m’assure que toutes les équipes soient complètes… Et petit à petit je me mets finalement à faire d’autres choses : mise à jour du site internet, je m’occupe un peu de la gestion du planning d’entraînements des jeunes, je deviens un « référent technique ». Mais je reste toujours dans ce qui me plaît. Et puis petit à petit je me mets à faire des choses un peu moins « fun » comme les dossiers de subventions, et d’autres tâches administratives. Le club ayant vu plusieurs présidents se succéder et ne m’étant jamais senti l’âme non plus d’être tout en haut, j’ai souvent assuré aussi la transition entre les présidents. J’essayais d’en trouver un nouveau, un qui était prêt à s’investir, avec toujours mon soutien derrière, mais un peu plus dans l’ombre, en coulisses. Et donc j’ai vu se succéder Jean Royon qui était le président emblématique, après on a eu trois ou quatre autres présidents, et à chaque fois je servais de transition entre chaque.
Votre investissement est venu presque par hasard, naturellement vous êtes venus à vous impliquer au sein du club ?
Arnaud : Oui voilà, on s’y sentait bien et on a eu sans doute envie d’apporter notre pierre à l’édifice et d’être utiles. J’ai toujours été très reconnaissant de ce que les entraîneurs ont pu m’apporter, du temps qu’ils ont pu passer avec moi, et je pense qu’assez vite je me suis dit que j’avais envie de faire pareil. Je me suis lancé dans l’entraînement parce que moi aussi j’ai appris des choses, on m’a transmis des choses, et à mon tour j’essayais de transmettre ça aux jeunes.
Mais on voit que la mentalité actuelle est différente. On est quelques personnes au sein de l’ASTT à avoir un fort esprit club, mais c’est vrai que l’on a des jeunes qui consomment beaucoup finalement. C’est-à-dire que l’on vient chercher quelque chose sans forcément donner en retour. On vient ici seulement pour jouer et vite se sauver quand c’est terminé. Monter la salle, la ranger, faire des trucs basiques pour le club, ce n’est plus d’actualité. On avait le tournoi national du club en mars et on est obligés d’envoyer des tonnes de messages rien que pour avoir des joueurs du club participant au tournoi. On fait le tournoi du club pour créer un événement, évidemment aussi pour gagner un peu d’argent, et la moindre des choses serait que les joueurs du club viennent participer.
Quand on arrive dans le bénévolat, ce n’est pas forcément une voie qu’on a choisie, mais c’est une voie qui se présente à vous
Jean-Robert Sellier
Selon-vous, comment devient-on bénévole ?
Jean-Robert : J’ai l’impression qu’au départ c’est quelque chose d’un peu inné. C’est vrai que les événements de la vie peuvent vous précipiter dans un bénévolat que vous n’avez pas forcément choisi, mais qui vient naturellement finalement. Tout dépend du lieu où vous vous trouvez, de l’environnement que vous avez. Quand vous vous sentez bien quelque part, vous avez envie d’y rester. Quand vous voyez des bénévoles autour de vous qui sont tant dévoués et parfois trop surchargés dans leurs tâches malgré leurs compétences, ça force le respect dans un premier temps. Ensuite, moi j’ai envie de les aider à ma manière, en fonction de ce que je peux faire, de ce que je peux leur apporter pour les soulager. On est dans cette forme de réalité au club où on a un président qui est dévoué à l’extrême. Arnaud c’est pareil, il est dévoué tout autant. Tout ce temps qu’il passe ici c’est quand même quelque chose de précieux qui mérite respect. Quand on arrive dans le bénévolat, ce n’est pas forcément une voie qu’on a choisie, mais c’est une voie qui se présente à vous. Et chacun fait un petit peu, c’est le principe du bénévolat. On crée une équipe, des liens, et c’est ce qui peut contribuer au succès d’une infrastructure quelle qu’elle soit.
Arnaud : Il y a cette question d’attachement, de se sentir bien et se dire « tiens je vais les aider ». Je ne sais pas si c’est génétique mais je pense que c’est quand même une question d’éducation. Je prends un exemple qui me fait plaisir, tout à l’heure je parlais de monter la salle. Quand je vois mes enfants m’aider naturellement à monter la salle sans rien leur demander, ça me fait plaisir. Je me dis qu’ils vont peut-être se lancer eux aussi. Et en même temps je me dis, « mais s’ils font ça, dans quelle galère ils s’embarquent ? » Parce que certes il y a des satisfactions, mais à côté de ça il y a aussi des tonnes de galères. Je prends l’exemple du tournoi du club, c’est vrai qu’à la fin de la journée on était contents. Il y avait du monde, des beaux matchs, on était heureux de ce résultat. Mais on est forcés à avoir des tâches ingrates, des galères un peu psychologiques. On peut presque comparer ça à une religion, c’est vraiment une foi, une passion. Et je repense aussi à une période un peu plus lointaine où on avait des soucis financiers ici, où c’était plus dur. Et c’est vrai que ça tracasse aussi, on se dit comment on va faire, on a aussi un salarié ici, comment on va faire pour le payer ? Il y a eu des périodes où on a pris 3-4 mois pour rembourser les bénévoles, leurs frais de déplacements et ce sont des sources de tracas. Mais je pense franchement qu’il n’y a pas une journée dans l’année où je ne pense pas au club. J’y pense tous les jours, tout le temps. Il y a toujours quelque chose à faire. Ce n’est pas 10h par jour, mais c’est minimum quelques instants dans la journée.
Comment s’est passée la transmission de cette passion bénévole au sein de la famille ?
Arnaud : On n’en a jamais parlé, je n’ai demandé l’avis à personne. Je me suis dit j’y vais.
Jean-robert : Arnaud était quelqu’un d’assez réservé. Donc la structure de l’ASTT au départ ça l’a un peu inquiété, parce qu’il ne voulait pas venir. Il voulait rester dans son petit club à Doullens parce qu’il était la vedette là-bas, c’était le plus petit et le meilleur, je lui ai dit « un jour il faudra quand même que tu y ailles ». J’ai croisé des personnes ici, responsables du club, qui m’avaient pressé de le faire venir, donc il est venu et il n’en est plus jamais reparti. Il est arrivé à un moment où il y avait quelques éléments de son âge qui étaient très bons, donc ça a créé un noyau sur le plan sportif qui allait affronter d’autres joueurs et d’autres équipes avec des chances réelles de succès. Et les succès s’accumulant, vous comprenez très bien que quand on a le succès tout est beau, tout est merveilleux pour tout le monde. Là ça a fonctionné et ça a perduré pendant de nombreuses années, et comme je l’ai dit tout à l’heure, ça a été quelque chose de bénéfique pour lui comme pour moi. Moi je lui trouvais du talent, lui m’a toujours dit « je n’ai pas de talent, je travaille simplement ». Il travaille et il s’entraîne. Il avait quand même une prédisposition à être bon.
Arnaud : De ce groupe de jeunes là qu’on a pu être, je pense qu’il ne reste que moi. Certains sont partis pour des raisons professionnelles, il y en a qui ont arrêté. Mais c’est vrai que finalement, à l’arrivée, je suis le seul à m’être vraiment investi dans la vie du club.
Les gens aujourd’hui sont devenus consommateurs
Perdurer ou s’arrêter ?
Jean-Robert : Moi, à l’heure actuelle, je me dis juge arbitre, mais je me dis aussi qu’à un moment je vais arrêter. Quand on fait du juge arbitrage on est quand même dans la partie bénévolat, et ce qui m’inquiète surtout c’est qu’on ne voit pas de jeunesse derrière qui se bouscule pour nous remplacer. C’est une condition incontournable pour la vie du club et on ne trouve pas. Et c’est là qu’on se rend compte que le bénévolat a quand même quelques difficultés à faire des émules parce que les gens aujourd’hui sont devenus consommateurs.
Arnaud : Et puis c’est ingrat de toute façon. Pour dix choses que l’on va faire on va en faire neuf correctement et on aura aucun remerciement; mais dès que l’on va louper un truc ou mal faire quelque chose, on va se faire engueuler, critiquer presque aussitôt. Alors je ne sais pas pourquoi on est là, pourquoi on devient bénévole, pourquoi on y reste ? Parce qu’il y a quand même des fois où moi je me dis “c’est bon, je vais faire autre chose”. Mais il y a toujours ces petites satisfactions, ponctuelles, un gamin qui remporte un tournoi, des équipes qui gagnent le week-end, un tournoi qui se passe bien. Et puis ça remet du baume au cœur, et puis on y retourne.
Jean-Robert : On garde les bons moments à l’esprit pour oublier les mauvais. Mais il est évident que quand on regarde l’avenir au niveau du bénévolat, il y a tout lieu de s’inquiéter parce que les gens ne veulent plus trop s’investir. Ils viennent au club (quel qu’il soit, ce n’est pas propre au tennis de table), ça les intéresse; à un moment ça ne les intéresse plus et on ne les voit plus.
Arnaud : C’est vrai qu’avec le président on essaye quand même régulièrement de remobiliser des parents, tout à l’heure quand je disais que ça commence par un parent qui accompagne son enfant, en effet c’est souvent comme ça. Et donc quand on voit souvent quelqu’un à la salle, c’est vrai qu’au bout d’un certain temps on lui demande “Mais tu ne voudrais pas venir au comité directeur avec nous pour nous aider ? Pour faire telle ou telle chose ?” Certains acceptent, et la problématique qu’on a rencontrée plusieurs fois ces dernières années, c’est que ces parents qu’on fait rentrer, n’ont pas une vision collective de la chose. Ils viennent au comité directeur mais juste par rapport à leur enfant. Dans quelle équipe leur enfant va jouer, comment on va entraîner leur enfant, qu’est-ce qu’on va payer à leur enfant, etc. Et c’est là qu’on rencontre le plus de difficultés, à avoir cette vision collective et se mettre au service du collectif. Nous on ne réfléchit pas par rapport à des individualités on réfléchit par rapport à un groupe. Il y a 180 licenciés ici : des gens qui font de la compétition, d’autres qui font du loisir, quelques pratiquants handisport, une section sport santé qui vient une fois par mois : on doit penser à tout ça, on doit savoir où est placé l’argent, quelles animations on propose à quel public, et c’est très difficile d’avoir cette vision collective. De plus, quand on demande de venir au comité directeur, c’est parce qu’on a besoin d’aide, de nouvelles idées, parce que nous on est aussi un peu épuisés. Au fil des années on rentre dans une routine, on fait toujours la même chose, parce que ça marche à peu près, et ce qu’on nous répond souvent c’est “Mais vous faites très bien les choses vous, pourquoi je viendrais vous aider ?”
On fait tout, et tout faire ça use. Toutes ces tâches ingrates ou rébarbatives, le président fait également énormément de comptabilité, mais quand on devient bénévole, on ne le devient pas pour faire ça. On devient bénévole pour prendre du plaisir, pour recevoir des choses, faire évoluer le club, et malheureusement à côté il y a plein de choses rébarbatives à faire. Le président a aussi passé ses diplômes d’arbitre, parce qu’on n’avait pas d’arbitre.
C’est difficile, c’est pénible. La notion d’équipe, c’est quand même important. Parce que souvent je me dis que si Denis Chatelain arrête, je ne sais pas si je continuerai, et peut-être qu’il se dit aussi la même chose… Mais en effet, on est 3-4 pour lesquels on sait qu’on peut compter les uns sur les autres, on sait que s’il y a une galère c’est l’autre qui va essayer de prendre les rênes et de rattraper le coup. Cette notion d’équipe elle est quand même importante.
Avoir une idée c’est facile, la mettre en œuvre c’est une étape un peu différente
Arnaud SELLIER
À mon sens, le bénévole est avant tout supporter, qu’est-ce que vous en pensez ?
Arnaud : Supporter je ne sais pas si c’est le bon mot. C’est tellement large comme terme « bénévole ». Parce que le bénévole va du président jusqu’à celui qui fait les sandwichs. Les deux tâches sont importantes.
C’est pareil, mais quand le père du président vient faire la buvette, pourquoi il fait ça ? Parce qu’il n’y a personne. Donc pour le président c’est plus simple de dire à son père de venir faire la buvette que de demander à une personne lambda dans la salle de le faire. Et il y a une autre problématique aussi c’est que finalement, on n’a pas des adhérents qui viennent nous voir et qui nous disent « Je vais faire ça » . Il faut toujours demander. Mais moi quand je suis arrivé au comité directeur, il n’y a personne qui m’a dit « Tu vas faire ceci ou tu vas faire cela », je suis arrivé avec des idées. Ou alors je trouvais qu’il y avait des choses qui n’allaient pas, je me suis dit que j’allais peut-être faire mieux. Et en fait Denis il a exactement le même état d’esprit, c’est-à-dire qu’à un moment il était secrétaire au comité directeur, ça ne lui plaisait pas trop comment ça tournait, il pouvait peut-être faire mieux. Et il est arrivé avec pleins d’idées, et c’est aussi ça qui est important parce que des bénévoles qui ont des idées, il peut y en avoir, mais avoir une idée c’est facile, la mettre en œuvre c’est une étape un peu différente.
La suite de cet entretien sera à retrouver jeudi prochain, sur Gazettesports.fr, avec Jean-Robert et Arnaud Sellier.
Retrouvez les numéros suivants de notre saga :
#2 « Famille de bénévoles » – Sellier (2)
#3 « Famille de bénévoles » – Sellier (3)
#4 « Famille de bénévoles » – Sellier (4)
Propos recueillis par Timothée / Mis en forme par Océane KRONEK
Crédits photos : droits réservés