Sport collectif de vitesse, de stratégie et de contact, le Roller Derby est une discipline en plein essor.
Apparu aux États-Unis dans les années 1930, le Roller Derby était tout d’abord pratiqué avec des règles bien différentes. Au départ, il s’agissait plus d’un spectacle avec des actions déterminées à l’avance, et cette discipline prenait le nom de « Roller Catch« . Le Roller Derby moderne, tel qu’on le connaît aujourd’hui, n’est apparu qu’au début des années 2000 et s’est développé en France dix ans plus tard.
Développement du Roller Derby à Amiens
En 2011, la première ligue de Roller Derby se crée en Picardie, et la première équipe naît sous le nom « The Rolling Candies« . Nous sommes partis à la rencontre de trois joueuses et d’une coach pour en savoir davantage sur ce sport qui accueille de plus en plus d’adeptes en France depuis le début des années 2010.
Au Roller Derby, les joueuses ont la liberté de choisir leur « Derby Name« , c’est-à-dire des surnoms qui les suivent tout au long de leur carrière sportive. Ces Derby Names, ainsi que les noms des événements, reposent très souvent sur des jeux de mots.
Comment avez-vous eu l’idée de vos surnoms ?
Néfertities : Alors moi, officiellement, c’est « Néfertities » parce que j’aimais bien l’idée d’avoir un prénom de femme forte et un jeu de mot un peu grivois à la fois. Mais tout le monde m’appelle « Moumou », parce qu’une fois, j’ai chanté une chanson du carnaval de Dunkerque qui s’appelle « Moumou la reine des mouettes », et depuis tout le monde m’appelle comme ça.
Krevette: Moi, j’ai commencé le Roller Derby à 15 ans, du coup j’étais toute petite. Et à l’époque, il y avait deux Élisa. La grande Élisa s’est fait appeler Élisa, et moi on m’a appelée Krevette. Tout le monde a fini par m’appeler comme ça. Du coup, un peu comme Camille qui se fait appeler Moumou, il y a un moment, il faut céder et se dire « Bon, je m’appellerai comme ça toute ma vie, c’est pas grave ».
Lady Goudale : Moi c’est Lady Goudale, parce que je suis une grande amatrice de Goudale. Et « Lady », c’est pour le côté un peu précieuse.
Virus : Moi, je n’avais aucune idée de mon Derby Name. Autant j’avais le numéro, mais pas le nom. Je sais juste que je voulais un Derby Name court. Et c’est mon mari qui a trouvé : Virus. Il m’a dit : « Je trouve que ça fait agressif ». Et du coup, ma fille qui fait du patin, on l’appelle « Bactérie ».
Faut-il être doué en jeu de mots pour intégrer une équipe de Roller Derby ?
Néfertities : La créativité est la bienvenue !
Virus : Au Roller Derby, c’est vrai qu’il y a beaucoup de jeux de mots. Généralement, sur les événements, il y a toujours un jeu de mots qui fait un rapprochement avec le Roller Derby.
Les événements sont particulièrement animés et festifs, pourquoi cela?
Krevette : Je pense que ça attire beaucoup plus le public. Ça fait moins sérieux. Et puis on aime bien se faire plaisir. Par exemple, à Paris, il y a le « Derby Land ». C’est un week-end entier où les organisatrices choisissent un thème. Elles ont fait des choses incroyables ces trois dernières années. Je pense que l’idée c’est qu’il n’y a personne pour nous aider à réaliser ce que l’on veut faire, alors autant qu’on le fasse en prenant du plaisir. Et je pense que ça nous aide aussi à aimer davantage ce que l’on fait.
Lady Goudale : Parce que nous, nos événements, c’est assez sommaire. Mais Derby Land, je crois qu’elles font appel à des écoles spécialisées pour faire les décors. Une fois, on y avait été et c’était Week-end Cow-Boy. La buvette ressemblait à un saloon.
Virus : Ils avaient des taureaux mécaniques. C’était vachement bien. On a été vraiment bien accueillies, c’était énorme.
Lady Goudale : Y’a aussi la « Saint-Patrack » qu’on avait fait l’année dernière, sur le thème de la Saint-Patrick.
Comment vous préparez-vous à ce genre d’événements ?
Virus : Bien souvent, on se maquille. On s’est fait des mono-sourcils la dernière fois !
Lady Goudale : Ou des paillettes sur les joues !
Krevette : L’ancienne pratique du Roller Derby était un spectacle, les joueuses portaient des vêtements fluos, etc. Après, c’est devenu à la fois un sport et à la fois un spectacle. Maintenant, ça devient un vrai sport. Il y a des équipes qui s’entraînent tous les jours, surtout aux États-Unis. Du coup, ça a commencé un peu à disparaître l’idée de venir habillé de manière extravagante. Nous, on met surtout un équipement qui nous permet d’être à l’aise. Après, il faut aussi faire la différence entre un match sérieux, et un match plus détendu où on se lâche un peu plus.
Lady Goudale : En fait, ce qui est cool dans le Derby, c’est que tu viens comme tu as envie de venir. Tu as envie de porter un short, tu en mets un. Tu as envie de mettre une jupe, tu le fais. L’important, c’est d’être à l’aise, de se faire plaisir et se sentir bien dans son corps.
Comment vous avez connu le Roller Derby ?
Lady Goudale : Moi c’est par ma cousine, Camille (Néfertities).
Néfertities : Et moi, j’ai connu la discipline dans le film « Bliss ». C’est un film de Drew Barrymore avec Ellen Page. Il y a beaucoup de joueuses qui ont découvert le Roller Derby grâce à ce film.
Krevette : Dans le film, ça n’est pas vraiment la même discipline que nous, mais ça donne une idée des règles du Roller Derby. Comparé au film, beaucoup de choses sont interdites dans notre Roller Derby.
Virus : Mais maintenant, on retrouve aussi beaucoup de scènes qui représentent le Roller Derby. Dans la série Lucifer, par exemple. Petit à petit, on arrive à retrouver du Roller Derby dans des séries ou films actuels. Ça commence à se développer.
Qu’est-ce qui vous plaît dans ce sport ?
Virus : La violence ! Non, en vrai, même l’esprit d’équipe. Enfin, moi personnellement, je le ressens comme ça. Quand on voit que dans certains sports, il y a des joueurs qui se crêpent le chignon sur le terrain … Je veux dire, nous il n’y a jamais ça. C’est toujours convivial. Au début du match, on se salue. A la fin du match, on se tape dans les mains, on se félicite. Moi j’aime bien ce côté convivial.
Krevette : C’est vraiment la différence. Tout le monde arrive à faire la part des choses. Les débordements sont vraiment très rares.
Virus : C’est vrai qu’à la différence d’autres sports collectifs qu’on peut connaître, on ne se bouscule jamais avec mauvaise intention. On ne se bouscule que dans le cadre sportif. Généralement, ça se passe toujours bien.
Néfertities : Et de toute façon, s’il y a un truc qui se passe mal, c’est l’expulsion !
Krevette : Oui, les arbitres sont très attentifs à ça. Il y a déjà une joueuse qui s’est fait expulser parce qu’elle avait pesté après s’être pris une faute. Ils sont intransigeants.
Lady Goudale : Moi j’aime bien le contact. J’aime le fait de jouer ensemble, mais aussi d’élaborer des stratégies avant le coup de sifflet. Quand ça fonctionne, on est hyper contentes ! Quand on prévoit une suite d’actions, et que ça marche, on se sent puissantes, c’est très plaisant. Et le fait de l’avoir fait ensemble, c’est agréable. Il en va de même quand on parvient à faire des actions seules, à retenir une bloqueuse ou une jammeuse adverse.
Qu’est-ce-que le Roller Derby vous a apporté, sur le plan personnel ?
Néfertities : Moi ça m’a donné beaucoup de confiance en moi. Quand tu arrives à bouger quelqu’un, tu te dis : « Anh, c’est moi qui ai fait ça » ! Ou au contraire, quand une joueuse te vient dessus et que tu parviens à ne pas bouger, tu vois que tu es capable d’encaisser.
Lady Goudale : Le Roller Derby, c’est vraiment un sport qui m’a décomplexé de beaucoup de choses. Désormais, je me permets de m’exprimer un peu plus. Je suis même un peu plus décomplexée avec mon corps. Tout le monde est accepté comme il est, et personne ne porte de jugement. C’est vraiment un espace « safe » où on se respecte.
Il y a l’air d’y avoir une bonne cohésion d’équipe. Qu’en pensez-vous ?
Lady Goudale : C’est un peu comme une famille.
Krevette : On passe beaucoup de temps ensemble aussi, que ce soit aux entraînement et en dehors.
Virus : On a commencé à jouer quand c’était encore une ancienne équipe, qui était déjà sur un gros niveau. Un niveau au-dessus de celle-ci. L’équipe s’est reconstruite au fur et à mesure, mais certaines joueuses sont restées. Et c’est vrai que, personnellement, je le vois sur la durée. La cohésion que l’on a actuellement n’est pas la même que celle que l’on avait il y a quatre ans.
Krevette : Aussi, depuis maintenant deux ans, on essaie d’imposer la valeur de bienveillance. Pour se rappeler toujours que, même si on est énervée contre quelqu’un, en entraînement ou en match, on reste bienveillante. Alors qu’avant ça n’était pas forcément quelque chose qui était répété.
Pour un sport à prédominance féminine, votre club possède t-il des équipes masculines ?
Krevette : Il n’y a que deux coachs hommes dans notre club. Mais il y a du Roller Derby masculin. Pas chez nous, mais ça existe. Par exemple à Paris, ou à Lille. Nous, c’est juste que l’on n’a pas assez d’hommes pour créer une équipe. Mais on a une équipe de pom-pom boys qui est en train de se construire ! Ils veulent patiner et faire pom-pom boy. Du coup, finalement, peut-être qu’une équipe masculine finira par se construire dans quelques années. Mais pour l’instant, il n’y a pas assez d’hommes pour l’envisager.
Est-ce une discipline accessible aux enfants ?
Néfertities : Cela dépend de ce que l’association décrète. Mais nous, on n’accepte pas les mineurs, et cela pour différentes raisons. Déjà d’un point de vu sécurité. On n’est pas encore en mesure de gérer la venue et la sortie des mineurs en s’assurant que les parents les reprennent bien à la fin de l’heure. Ce genre de choses. Mais au salon de l’AGORA par exemple, des parents nous ont demandé si c’était accessible, ou non, aux mineurs. Donc c’est que ça intéresse.
Virus : C’est vrai qu’actuellement on n’est pas dans la capacité de le faire, par contre il y a d’autres clubs qui ont des équipes juniors, et ils acceptent les mineurs. C’est vraiment un choix. Parce que, mine de rien, le sport nous prend du temps, ça prend du temps aux coachs aussi, donc forcément il faudrait libérer du temps supplémentaire pour pouvoir coacher des mineurs. Je pense que ça pourrait se faire par la suite, mais pour l’instant c’est vrai que ça n’est pas encore dans le projet du club.
Krevette : Aussi, on se pose déjà pas mal de questions sur ce qui est maintenant accessible, donc pour les juniors, ce sera à voir plus tard.
Et pour une débutante n’ayant jamais patiné, le Roller Derby est-il envisageable ?
Néfertities : C’est accessible aux débutantes, aux sportives, comme aux non-sportives aussi. Dimanche 29 septembre, on a fait une journée de recrutement. Dix filles et sept garçons sont venus et les âges allaient de la vingtaine à la cinquantaine d’années.
Virus : Même quelqu’un qui a fait du in-line (NDLR : patin aux roues alignées), quand il passe sur du roller quad, ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas le même mode de freinage par exemple. Ça s’apprend, mais au début ça peut être compliqué. Mais ça reste totalement ouvert aux novices. Il y en a quelques unes qui n’avaient jamais fait de patins, et qui se retrouvent à jouer avec nous maintenant. Et puis, avant d’apprendre la discipline en elle-même, on apprend le patinage, les chutes, les freinages, pour ne pas être un danger pour les autres.
Au vu de la récence de ce sport, ses règles évoluent-elles ?
Virus : Oui, tout à fait. Ne serait-ce même que le nom des fautes change d’une année à l’autre.
Krevette : Aussi, maintenant, si tu fais sept fautes, tu es expulsée du jeu. Mais avant, il y avait des fautes mineures et des fautes majeures. Au bout de deux fautes mineures, on avait une faute majeure. Et à ce moment-là, on allait en penalty box pendant une minute. C’est énorme une minute ! Il faut se dire que le temps d’un jam (NDLR : Une partie de Roller Derby dure 60 minutes, et les deux équipes s’affrontent au cours de « jams ») est de deux minutes. Maintenant, on a plus que des fautes majeures, et c’est 30 secondes en penalty box. Le sport n’arrête pas de changer. C’est parce que c’est encore nouveau, c’est normal qu’il évolue. Peut-être qu’un jour, on arrivera à un point où l’on aura tout testé, et où l’on arrêtera de modifier les règles. Mais moi, j’aime bien l’idée que le sport évolue comme ça.
Ressentez-vous un peu de stress avant un match ?
Virus : Absolument pas !
Lady Goudale : Ça dépend des personnalités de chacun, et de l’événement aussi. Mais moi, si c’est un match important, je commence un petit peu à stresser.
Avez-vous des événements, des tournois ou des Championnats de prévus prochainement ?
Virus : On fait un Championnat de France. L’année dernière, on était en National 2. On l’a été pendant deux ans. Et maintenant, on a réussi à atteindre l’objectif de jouer les play-offs pour passer en National 1. Donc cette année, on va jouer en National 1.
Krevette : Le Championnat, ce sera le 23 et 24 novembre. Et en National 1, ça se fait en deux week-ends, sur 4 matchs. Mais peu importe que l’on perde ou que l’on gagne, l’essentiel c’est de faire de beaux matchs.
Lady Goudale : D’ailleurs on a été surprises. L’année dernière, quand on était en National 2, notre objectif principal était de travailler la cohésion d’équipe parce qu’il y avait beaucoup de nouvelles joueuses. Et au final, ça a super bien fonctionné, on a gagné pas mal de matchs et c’est ce qui nous a permis d’arriver en National 1. Cette année encore, on a beaucoup de nouvelles. Donc il va falloir travailler à nouveau sur le collectif. Mais le principal reste de jouer ensemble et de se faire plaisir.
Virus : On part toujours dans l’objectif de gagner, mais on reste lucides aussi. On sait que l’on va jouer contre des filles qui ont un niveau supérieur au nôtre. Mais on va faire notre maximum.
Krevette : Il faut espérer qu’on s’en sortira bien ! Après, en dehors du Championnat, je fais partie d’un Comité inter-ville qui organise des rencontres avec les équipes. Lorsqu’une date est choisie, on communique avec les équipes par mail, et quand l’une d’entre elles est motivée pour nous rencontrer, on organise la chose. On fait ensuite la communication des événements via Facebook.
Comment percevez-vous le Roller Derby aujourd’hui ?
Virus : C’est une drogue. J’ai eu une période où j’avais arrêté de jouer, pour diverses raisons, et j’ai fini par revenir. Clairement, je ne me vois pas arrêter le Roller Derby.
Krevette : Avant, je pensais que c’était le sport à part entière qui était une drogue. Mais quand j’ai arrêté le Roller Derby, clairement, j’avais envie d’y retourner.
Néfertities : Je pense que c’est parce que le Roller Derby est communautaire. Rentrer dans l’univers du Derby, c’est comme rentrer dans une famille.
Angélique Guénot
Crédits photos : Coralie Sombret & Léandre Leber – GazetteSports