Alors que l’année qui vient de s’écouler a été compliquée pour de nombreuses disciplines, nous nous sommes longuement entretenus avec Marie Budin, qui occupe des fonctions au sein de la Ligue des Hauts de France et de la Fédération Nationale d’Aïkido. L’occasion d’évoquer longuement les enjeux d’une discipline quelque peu méconnue.
Tout d’abord pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Marie Budin et je pratique l’aïkido depuis 7 ans au sein de la FFAB (Fédération Française d’Aïkido et de Budo). Je suis 1° dan et j’ai passé le Brevet Fédéral d’enseignement dans le but de donner des cours d’aïkitaïso (gymnastique autour de l’aïkido) au sein de mon club. Depuis 4 ans j’ai accepté des fonctions administratives et suis entrée au Comité Interdépartemental de Picardie qui gère l’aïkido au sein des 3 départements : Somme, Oise et Aisne. J’ai également pris des responsabilités au niveau de la Ligue des Hauts de France et de la Fédération Nationale.
L’aïkido n’est pas forcément l’art martial le plus connu, pouvez-vous nous parler un peu de cette discipline ?
L’aïkido se pratique à deux, sans distinction de genre, d’âge ou de poids comme dans le judo ou le karaté. Il n’est pas question de force mais de placement et déplacement. Il faut être au bon endroit, au bon moment ! L’aïkido ne cherche pas à nuire ou à blesser son adversaire, il cherche à le déséquilibrer pour le neutraliser et l’empêcher de nous atteindre.
C’est une discipline très complète où l’ensemble du corps travaille, dans le respect du fonctionnement de nos articulations. Les cours débutent par un échauffement qui s’inspire des techniques asiatiques de respiration, de relâchement des tensions accumulées dans le corps (et l’esprit), on étire également beaucoup l’ensemble des muscles et on les renforce au travers d’exercices variés complémentaires les uns des autres. Puis débute le travail technique en binôme. Il est progressif dans le cours. Chacun peut pratiquer en fonction de son niveau, plus ou moins sportif. Les plus jeunes y trouvent un très bon moyen de se défouler, de faire des chutes spectaculaires dignes des meilleures scènes de films d’action ! Les plus calmes trouvent un rythme plus adapté à leur condition physique ou à leur âge.
Pensez-vous que, le fait qu’il n’y ait pas de compétitions à proprement parler, puisse freiner certains à essayer ?
C’est sûr que pour les enfants qui recherchent la compétition ou pour les parents qui veulent voir leurs enfants gagner ou monter sur le podium, c’est un frein. Dans la réalité des choses je pense que ça devrait au contraire être un sacré avantage. Car je pense qu’aujourd’hui, la société est très axée sur la compétition. Et dès l’école on s’aperçoit que les enfants sont déjà dans la compétition. L’aïkido permet justement de s’exprimer physiquement mais sans avoir cette pression extérieure. C’est-à-dire que l’enfant, le jeune, l’adulte, évolue pour lui-même. On lui fout la paix (sic), on arrête de la comparer à l’autre. L’aïkido permet à tout le monde de s’épanouir soi-même sans passer par les autres. Autre point, on est tous habillé en kimono et il n’y a pas de distinction, que le kimono sorte de décathlon ou d’un magasin hyper spécialisé à Paris, on ne fait pas de différence.
Plutôt que d’affronter un problème, l’aïkido permet de le contourner et de trouver une solution apaisée
Quelles sont les « valeurs » de cette discipline ?
L’aïkido est une excellente école de la vie. Ses valeurs sont très actuelles et correspondent aux attentes des gens, notamment dans cette période de crise sanitaire. Les maîtres mots sont : bienveillance et respect d’autrui.
Il y a tout d’abord le respect du lieu, le dojo ; le respect de l’enseignant et des autres pratiquants. Il n’y a pas de compétition en aïkido et chacun travaille pour lui-même. L’idée n’est pas de gagner ou d’être plus fort que l’autre, l’idée est de s’améliorer soi-même grâce à la pratique avec l’autre. C’est une approche complètement différente. Il n’y a pas d’adversaire mais des partenaires : « Je travaille avec mon partenaire, pas contre un adversaire ». Il me permet d’évoluer lorsqu’il travaille avec moi et à mon tour, je l’aide à progresser en lui faisant ressentir les choses. On est dans un climat de sérénité.
De ce fait, notre discipline offre une analyse différente des situations du quotidien. Plutôt que d’affronter un problème, l’aïkido permet de le contourner et de trouver une solution apaisée. Si j’affronte mon partenaire, il va immédiatement réagir, peut-être même avec violence. Si je laisse passer une mauvaise intention en me déplaçant légèrement, je me retrouve dans une position confortable où je ne suis pas affecté. L’aspect physique et intellectuel sont très proches. D’ailleurs beaucoup de parents nous disent : « Depuis que mon fils ou ma fille fait de l’aïkido, ça va mieux à l’école ! » L’enfant est certainement plus à l’écoute et relativise mieux, appréhende plus sereinement des situations qui auraient pu apparaître comme conflictuelles ou angoissantes.
On sent presque un aspect « collectif » dans cette discipline…
L’aïkido se pratique à deux et effectivement on a une notion de partenaire. On ne parle jamais d’un concurrent, d’un adversaire, mais d’un partenaire. On n’est pas là pour le battre, pour se comparer, on est là pour se faire progresser mutuellement, se faire progresser soi-même au travers de l’autre.
Au niveau des cours, ils sont organisés de telle sorte que les débutants sont pris en charge par les plus gradés. Par exemple dans un cours adulte, on va mêler les débutants avec les très confirmés. Et ce sont les gradés qui prennent en charge les débutants pour faire évoluer les débutants. Et les gradés, dans leur tête, ne doivent pas se dire : je sous-estime ou je sous-travaille parce que je suis avec un débutant. Au contraire le gradé doit se dire : le débutant me permet de découvrir de nouvelles choses chez moi. On est sur une philosophie japonaise, très zen, une philosophie de bienveillance.
D’une manière générale quel est « le public » qui pratique ?
C‘est une discipline pour tout le monde. Il y a une majorité d’hommes mais les femmes sont de plus en plus représentées, car l’aïkido se pratique sans force avec une forme de souplesse qui correspond bien au tempérament féminin. Les enfants sont également très représentés dans les clubs et la discipline leur permet d’améliorer leur développement physique et intellectuel. L’aïkido oblige à évoluer dans l’espace, à droite, à gauche, devant, derrière, au sol, debout, en roulant sur le tatami puis en remontant sur ses pieds. Il y a toute une gymnastique physique et mentale qui s’opère et aide les enfants dans leur développement personnel, à laquelle s’ajoute les notions de respect envers autrui. Les seniors y trouvent également un moyen de rester en forme, tout en douceur : la respiration, les étirements, le travail de l’ensemble du corps sans forcer sur aucune articulation. L’aïkido étant bienveillant, la discipline ouvre également ses portes au public handicapé, malentendants, malvoyants, mais aussi personnes à mobilité réduite ou ayant des troubles de la personnalité. Certaines pathologies peuvent tout à fait s’intégrer dans le cadre des cours traditionnels, d’autres nécessitent l’ouverture de sections spécifiques avec des enseignants spécialisés.
Les enfants sont également très représentés dans les clubs et la discipline leur permet d’améliorer leur développement physique et intellectuel
L’année que nous venons de vivre avec cette crise du covid vous inquiète-t-elle quant à l’avenir de la discipline ?
Oui et non ! Comme tout le monde, nous sommes dans l’incertitude concernant l’attitude de nos pratiquants : vont-ils revenir avides de pratique ou sont-ils passés à autre chose ? N’étant pas dans une discipline avec un effet « mode », nos pratiquants sont essentiellement des passionnés. Certains clubs ont continué la pratique en extérieur, grâce à un travail d’armes. L’aïkido se pratique à mains nues mais également avec des armes en bois (sabre et bâton). Nous avons gardé le contact avec l’ensemble de nos clubs et il semble que les licenciés attendent la reprise avec impatience.
Quels sont les perspectives de développement possible pour la discipline ?
L’aïkido n’est pas médiatisé car il n’y a pas de compétition, pas de vainqueur, pas de perdant, pas de score à afficher ! Et malheureusement pour nous, les journalistes sont friands de ce type d’information. Nous aimerions beaucoup communiquer davantage dans la presse papier, les médias TV, radio et autres, mais les sports de compétition prennent souvent l’ascendant. Ceci dit, la Fédération Française d’Aïkido et de Budo démarre une action nationale pour faire entrer l’aïkido à l’école. Si nous aboutissons, cela profiterait bien entendu aux clubs de la métropole amiénoise. L’école est un terme au sens large et nous y englobons les universités et écoles postbac. Notre discipline est peu onéreuse, les licences, inscriptions dans les clubs et équipements sportifs (kimonos) sont très accessibles aux étudiants qui possèdent souvent un petit budget.
Quel est la situation de l’aïkido dans la métropole amiénoise ?
Nous comptons 3 clubs dans la métropole amiénoise : Amiens Aïkido dont le dojo est au Coliseum, Le Cercle des Arts Martiaux (CAM) à Amiens Nord et l’EDAM (École des Arts Martiaux) à Saleux. Les enseignants principaux de ces 3 clubs sont des hauts gradés, ceintures noires 5° et 6° Dan. Ils sont diplômés d’État et se forment tout au long de l’année pour proposer un enseignement de qualité. Dans ces clubs, le nombre de licenciés varie entre 20 et 70 personnes environ. D’une année sur l’autre, le nombre de licenciés dans les clubs est assez stable. Nous avons un très bon taux de réinscription.
Dans les faits qu’est-il prévu pour l’aïkido dans ce calendrier du déconfinement ?
Pour l’instant on est obligé de travailler en extérieur donc on fait des cours d’armes en extérieur. On se réunit sur des lieux ouverts au public et suffisamment larges pour respecter les distances de sécurité.
Pour l’été on va probablement, si on peut le faire, rouvrir nos dojos, avec les accords de la métropole. On va organiser des stages d’été en extérieur. Et en septembre on essaye de rouvrir les dojos normalement en espérant ne pas être reconfinés sur l’automne.
Êtes-vous confiante concernant l’avenir de votre discipline ?
Des nouveaux jeunes membres ont rejoint notre Comité Interdépartemental de Picardie lors de la dernière élection de l’Association. Ce rajeunissement d’équipe est très positif et porteur de dynamisme. Nous réfléchissons à comment faire mieux connaître notre discipline, comment mieux communiquer et nous aimerions obtenir davantage de créneaux horaires pour augmenter le nombre de nos sections, ouvrir des cours enfants, senior, aïkitaïso, là où il n’y en a pas. Nous espérons y arriver petit à petit, même si les dojos ne sont pas extensibles et que nous les partageons avec les autres arts martiaux !
Propos recueillis par Quentin Ducrocq
Crédit photo DR