AMIENS SC – Oswald Tanchot : « Pour construire, il faut un minimum de stabilité et de temps »

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Alors que l’Amiens SC a vu sa rencontre face à Clermont être remise, nous en avons profité pour nous entretenir longuement avec Oswald Tanchot, le coach amiénois. L’occasion pour lui de nous parler de sa vision du football, des évolutions parfois néfastes qu’il constate depuis plusieurs années et de l’importance qu’il porte aux valeurs, aux hommes et au collectif.

Oswald Tanchot, diriez-vous que vous avez une philosophie de jeu ?

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Oui, on en a toujours, je pense que c’est important d’avoir de grands principes, et des fils directeurs dans sa méthode. Après, à notre niveau, et de plus en plus dans le football, il faut être capable de s’adapter très vite aux joueurs dont on a la charge. Parce qu’on ne peut pas jouer tous les footballs, avec tous les types d’effectif. Mettre en place une philosophie de jeu ça demande du temps, ça demande plusieurs mercatos ; il faut avoir les joueurs, et souvent, ce temps-là est compté dans notre métier.

En vous écoutant depuis votre prise de fonction, on sent que vous prônez un beau football, mais cela se confronte à la réalité, et ne se voit pas forcément sur le terrain…

C’est vrai que l’idée de jeu que j’ai est différente de ce qu’on produit et de ce que l’on a produit, alors je vais y mettre un bémol ; il y a eu des moments où on a été capables de le faire… Mais au final, dans la globalité, il y a un décalage entre ce qu’on produit cette saison et ce que j’ai envie que l’on fasse. Même si on reste sur un dernier match plus conforme à ce que j’ai envie que l’on produise (ndlr : face à Auxerre). Mais il faut s’adapter à l’effectif. Il y a des éléments très importants, je le répète, ce sont la stabilité et le temps quand on travaille avec un groupe, pour que les joueurs adhèrent et s’imprègnent surtout. Car ce sont les joueurs qui doivent, à un moment donné, avoir ces idées-là sur le terrain. Et le coach doit rentrer dans la tête des joueurs, et surtout ses méthodes.

Je pense qu’il faut d’abord faire adhérer les joueurs à une façon de vivre ensemble, à un projet club, pour qu’après, sur le terrain, il y ait une adhésion à un projet de jeu

Plus que la philosophie de jeu et les systèmes, on a l’impression, qu’au fil de la saison, vous avez plutôt insisté sur l’état d’esprit et la pédagogie avec les joueurs…

Parce que j’ai compris assez vite que par rapport à ce groupe-là, c’était sans doute un élément important de notre saison pour aller chercher le maintien. Parce que le groupe est constitué de joueurs qui se découvrent, qui arrivent d’un peu partout, avec des mercatos qui se sont succédé très vite, en octobre et décembre. Et je pense qu’il faut d’abord faire adhérer les joueurs à une façon de vivre ensemble, à un projet club, pour qu’après, sur le terrain, il y ait une adhésion à un projet de jeu. Mais je le dis toujours, pour construire une équipe, il faut d’abord qu’il y ait une vision club, et ce sont les joueurs qui doivent s’intégrer très vite. Mais comme les joueurs restent maintenant très peu dans les clubs, ça complexifie les choses.

Justement, vous insistez beaucoup sur ces concepts de collectif, sur l’esprit de groupe, etc ; est-ce difficile dans la société actuelle, de faire tirer un ensemble de personne dans le même sens ?

C’est ce qui est le plus dur pour moi… J’isole le staff technique et tous les gens du club qui travaillent dans des visions de constructions, avec l’envie de construire avec un groupe. Mais tout autour, il y a beaucoup beaucoup (sic) de gens qui font en sorte que les joueurs soient de passage. Parce qu’on connaît toujours le début mais on ne sait jamais quand ça va s’arrêter pour un joueur dans un effectif. Avec des transferts réguliers, des prêts, tout le côté business du foot ; les entraîneurs, les techniciens en général et parfois même les directions, sont pris dans ce tumulte avec des mouvements permanents. Et ça, pour moi, ça va à l’encontre d’une construction, parce que pour construire, il faut un minimum de stabilité et de temps.

Trouvez-vous que les choses vont de plus en plus vite, même par rapport à vos débuts dans ce milieu ?

Je pense que ça s’accélère… Je le disais souvent quand j’étais au Havre, ce n’est pas encore le cas à Amiens, mais ça le deviendra, c’est que l’on avait la chance, d’avoir des jeunes qui sortaient du centre avec beaucoup de potentiel. Mais on était tranquille seulement six mois en fait. Si le joueur démarrait en septembre, on était tranquille jusqu’en décembre. Mais dès le premier mercato après que le joueur ait démarré, il y avait souvent, déjà, une forme d’impatience des agents ou autres, pour que le joueur parte. Et je pense que ça va de plus en plus vite pour tout le monde. Quand les joueurs sont bons, il y a souvent cette envie de les faire bouger. Il faudrait calculer le temps moyen d’un joueur passé au club, mais je regardais le poster d’Amiens en Ligue 1, il suffit de le regarder pour comprendre… Et même en regardant celui de cette année, il y a plein de têtes qui ne sont plus là, alors qu’il a été fait au mois d’octobre.

Pour évoquer le cas concret de l’ASC, et en connaissant les problématiques liées à l’effectif, est-ce possible de construire les bases d’une bonne saison prochaine dès à présent ?

C’est notre travail, il faut toujours avoir cette foi là, cette envie, cette croyance de construire (sic) j’ai envie de dire. Il faut être capable maintenant, sur des temps plus courts, de construire quelque chose. Que les joueurs, même en étant dans ce système-là, parce qu’en fait on fait partie d’un système, sur leur temps de passage dans les clubs, soient imprégnés des valeurs. Je pense que ça démarre aussi par la formation pour les joueurs formés au club. Quand ce sont des joueurs qui viennent des rangs du club, il faut qu’ils aient une philosophie club, un ADN, une vision et un partage de valeurs. Et quand ce sont des joueurs qui viennent de l’extérieur, il faut aussi aller chercher des joueurs qui aient un socle de valeurs en commun. Au-delà du côté économique, dans le quotidien, il y a aussi ce que les supporters ont envie de voir. Je pense que c’est important d’avoir une grille de lecture par rapport à quel type de joueurs il faut pour quel type de club.

Au-delà des tactiques, vous tentez de travailler particulièrement sur une gestion des déséquilibres ?

Ce que je veux dire c’est que, avant on était beaucoup sur des oppositions de systèmes figés. Aujourd’hui, on voit qu’à l’intérieur de certains systèmes, il y a des adaptations et des micro-déséquilibres à certains endroits. Je vais prendre un exemple tout simple, parfois on dit que l’on joue en 4-4-2, et il peut y avoir un excentré d’un côté qui est très large et de l’autre, un excentré qui est à l’intérieur pour libérer un couloir à un latéral ou à un attaquant qui plonge dans cet espace-là. Parfois il y a des micro-adaptations dans des systèmes et je trouve que d’une façon générale, en France, dans notre analyse du jeu, on est trop sur les systèmes et pas assez sur ces choses-là, sur les positions des joueurs au sein des systèmes. Parfois on lit les matchs trop par le prisme des systèmes. C’est en train d’évoluer par l’apport de certains entraîneurs qui sont en avance là-dessus et qui l’expliquent bien. Et par le biais aussi de nouveaux consultants, parce que le public suit aussi, parfois, des consultants qui n’amènent rien en fait.

Qui sont ces entraîneurs que vous évoquez ?

Il y a des gens qui, au niveau européen, sont très bons pour l’expliquer : Nagelsmann, Guardiola, Bielsa même Tuchel, Emery a apporté aussi. Je trouve qu’il y a une opposition entre ces gens qui évoluent dans des pays où ils sont en avance, et leur arrivée en France, où ils sont confrontés à des consultants qui ne savent pas les lire et les analyser. Finalement, moi j’estime que ces gens-là (ndlr : les consultants) doivent aussi faire élever les débats et parfois ce n’est pas le cas. Mais il y a une génération de nouveaux consultants. Je vais parler d’un que j’ai beaucoup aimé, qui était à Amiens, Mathieu Bodmer, en termes de pédagogie pour les gens… Je pense que le mec qui prend un abonnement à Téléfoot ou Canal, qui se regarde tous les matchs, c’est qu’il aime vraiment le foot, et il a peut-être envie d’avoir un peu plus qu’un consultant qui lui dit que les équipes jouent en 4-4-2 et 4-4-3.

En fait, en France, il y a trop de pouvoir donné aux joueurs, au détriment de l’institution club

Vous évoquez les consultants, mais des coachs étrangers ont aussi souligné que certains joueurs français, au niveau de la rigueur, n’étaient pas prêts non plus…

Il y a tout cela oui, je suis aussi tout à fait d’accord avec ça. Souvent on entend des joueurs parler de ce qu’ils ont connu quand ils ont quitté des clubs et des institutions en France, et qui décrivent quelque chose de totalement différent à l’étranger. En fait, en France, il y a trop de pouvoir donné aux joueurs, au détriment de l’institution club. Les joueurs ont finalement trop de pouvoir, et peuvent trop vite se réfugier derrière des excuses pour ne pas travailler, ou pour ne pas s’engager dans la voie de la progression. Quand on fait un métier comme celui-ci, avec beaucoup d’avantages, une grande visibilité, il y a certes des sacrifices, mais je pense que l’on doit sacrifier dix ans ou douze ans de sa vie et tout faire pour progresser. Et la première des choses c’est la passion, il faut des joueurs passionnés. Pour moi, un joueur qui n’est pas passionné ne peut pas progresser comme il devrait, parce qu’il faut être en perpétuel questionnement et curieux de son métier.

Pour en revenir à ces notions de déséquilibres, il y a l’importance d’avoir des joueurs en dépassement de fonction au sein du onze de départ ?

Exactement, il faut des joueurs qui aient une position dans certains tiers du terrain, qui peut être différente dans d’autres tiers. Si on prend un terrain qui est divisé en 3 tiers, dans lequel il y a les 4 temps du jeu, l’animation défensive, les deux zones de transition et l’animation offensive, il y a finalement une multitude de possibilités et de micro-déséquilibres, pour la phase offensive et pour la phase défensive, qui sont interpénétrées l’une et l’autre. Cela demande beaucoup de travail, beaucoup de temps, et surtout une lecture et une curiosité. Moi je considère que le foot est un jeu où il faut partir de trio, dans des zones, et à travers cela on peut décliner une multitude d’animations.

Finalement, quand on est adjoint, on n’est pas en prise directe avec toutes ces réalités-là, et ça préserve notre passion

Peu avant votre prise de fonction, vous aviez déclaré bien vous sentir en tant qu’adjoint, et que le poste d’entraîneur principal n’était pas votre objectif numéro un, pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Je pense qu’en tant qu’adjoint on est protégé de tout ça (ndlr : tout le système actuel). Finalement, quand on est adjoint, on n’est pas en prise directe avec toutes ces réalités-là, et ça préserve notre passion, on est passionné et ce que l’on aime c’est l’entraînement, construire des séances, préparer des matchs. On est plus loin des constitutions d’effectif, des problèmes de transfert, de toutes ces choses-là, et finalement c’est un peu le poste, j’ai envie de dire, qui est le plus préservé du business du foot. Même si évidemment, quand on est adjoint on n’est pas complètement en dehors de ça, parce qu’on est aussi en train de construire quelque chose dans la durée avec un effectif.

Dans l’absolu c’est donc toujours votre pensée aujourd’hui, adjoint ou coach principal, les deux vous conviennent ?

En fait moi je ne suis pas quelqu’un de carriériste qui me dit : « Je vais faire ci ou ça », je suis plutôt quelqu’un qui relève des challenges en fonction des hommes avec qui je dois travailler. Avec Luka (ndlr : Elsner), c’était là-dedans que l’on était parti. Après, je ne ferme la porte à rien, aujourd’hui j’ai ce poste-là, j’aime bien, franchement j’aime bien entraîner, j’aime bien avoir des responsabilités, devoir prendre des décisions, parce que c’est quand même le côté intéressant de notre poste, mais j’aime bien aussi faire des séances. Franchement je n’ai pas de plan de carrière.

Football Amical Amiens Sc Vs Chambly Luka Elsner 0001 Leandre Leber Gazettesports
Oswald Tanchot avait commencé son aventure amiénoise en tant qu’adjoint, aux côtés de Lula Elsner

Diriez-vous que toutes ces choses que nous avons évoquées rendent le métier d’entraîneur trop prenant, trop « fatiguant », émotionnellement compliqué ?

Il y a des moments où c’est un peu dur parce que finalement on ne maîtrise pas grand-chose dans ce système-là. Les agents, les transferts, souvent on est les derniers prévus, donc on ne maîtrise pas grand-chose. Mais ça ne dure jamais très longtemps, ce qui est important c’est de se raccrocher à la base de notre passion, les entraînements, la vie de groupe, créer la progression chez les joueurs. Il faut à chaque fois, très vite passer à autre chose et je pense qu’on l’apprend. Au début on est un peu pris dans ce tumulte et au fur et à mesure, avec un peu d’expérience et de vécu, on fait avec.



Propos recueillis par Quentin Ducrocq

Crédit photo Leandre Leber Gazettesports.fr