Denis Plichet est moniteur de pilotage et coach, titulaire d’un Diplôme d’Etat (DE). Depuis les années 1990, il a accompagné des dizaines de pilotes, comme Pierre Gasly, le jeune Français vainqueur du Grand Prix de Formule 1 d’Italie le mois dernier. Et pour lui, Lilou Wadoux confirme en Alpine qu’elle possède déjà « un très bon niveau ».
« En Alpine, un pilote ne peut pas dire qu’un de ses rivaux a une meilleure voiture que la sienne ». Le postulat est clair pour Denis Plichet, moniteur de pilotage et coach, dans un championnat de marques comme l’Alpine Elf Europa Cup (AEEC), les véhicules sont identiques donc « ça permet aux pilotes de travailler leur pilotage ». Et au passage, cela les empêche de rejeter la responsabilité d’éventuelles mauvaises performances sur les voitures. « Théoriquement, le pilote doit remettre en cause son pilotage indique Denis Plichet. Mais j’ai vu tellement de comportements variés ! Certains, très frileux et qui n’avaient pas d’audace, ont eu besoin de temps. Et une fois les choses bien en place, ça a très bien marché pour eux. Inversement, j’ai connu des pilotes très courageux et audacieux qui n’avaient pas de cerveau et qui n’ont pas eu de résultats… » Il ne donnera pas de noms, mais en revanche Denis Plichet prend le temps de s’arrêter sur les juniors qui brillent cette saison en Alpine, comme l’Amiénoise Lilou Wadoux.
« J’ai conseillé JB Mela, l’actuel leader de l’AEEC, quand il courait en F4«
A tout seigneur tout honneur, il évoque en premier « JB » comme tout le monde surnomme Jean-Baptiste Mela dans les paddocks de l’AEEC. A tout juste 22 ans, le Corse d’Autosport GP est très bien placé pour décrocher son premier titre en Alpine, leader haut la main avant les deux dernières courses de l’année. Il a pour l’instant remporté quatre des huit courses et il est monté sur le podium des quatre autres ! « On a travaillé deux ans ensemble, se souvient Denis Plichet. Il a couru en F4, en 2016 et 2017. Je lui ai donné plein de conseils, certains qu’il a suivis, d’autres pas. Parce que dans une voiture de course, les gens ne le perçoivent pas, mais il faut une concentration très importante alors la mise en application (des conseils) n’est pas facile. Comme dans tous les sports mécaniques, le facteur vitesse est important. En plus, quand on est jeune, adolescent, ce n’est pas évident d’avoir la rigueur adaptée pour tout mettre en place… »
La monoplace, meilleure école de pilotage qui puisse exister
pour Denis Plichet
Pour Denis Plichet, ce n’est pas un hasard si trois des pilotes les plus rapides cette saison en Alpine Elf Europa Cup – avec en plus de Jean-Baptiste Mela, Matéo Herrero (Herrero Racing by Milan Compétition), seulement 18 ans et Pierre Sancinéna (Racing Technology), 29 ans – viennent également de la Formule 4. « La monoplace, c’est la meilleure école de pilotage qui puisse exister, parce que c’est la plus exigeante et la plus rigoureuse. Si on va vite avec une monoplace, en général on est vite aussi en Alpine ou sur Porsche. Après avoir fait de la F4, le pilote a de toute façon déjà acquis un bagage technique qui lui permet de passer à autre chose. Laurent Hurgon, lui, est aussi un très bon pilote, avec beaucoup d’expérience, il arrive à se maintenir (NDLR : Laurent Hurgon, d’Autosport GP, est 2ème du classement général de l’AEEC) mais il n’a pas couru en monoplace et je pense que ça se paye » confie Denis Plichet.
Les pilotes ne débutent plus à 18 mais à 14 ans
Sa raison d’être et d’exercer son job de moniteur de pilotage et surtout de coach, Denis Plichet la trouve dans le rajeunissement des pilotes. « Il y a vingt ou trente ans, les pilotes arrivaient pour passer des sélections à 18-20 ans, ils avaient une certaine maturité. Aujourd’hui, on se retrouve avec des jeunes de 14-15 ans qui ont besoin d’un accompagnement technique et mental. On est là pour partager notre expérience, leur apprendre les erreurs à éviter, comment surmonter les échecs. C’est pour ça qu’en plus du BPJEPS (Brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport) de pilotage, existe aussi depuis quelques années un DE (Diplôme d’Etat) qui contient des modules comme la technique, la diététique ou le physique. Mais dans une compétition comme l’Alpine, l’aspect physique n’est pas le plus important, assure Denis Plichet. Même s’il est important que le ou la pilote soit en bonne santé, notamment au niveau cardio. »
Les femmes sont souvent plus attentives et réceptives
estime Denis Plichet
Alors si la force physique n’est pas essentielle, pourquoi n’y a t-il pas davantage de femmes en course auto ? « C’est la loi du nombre, répond aussi sec Denis Plichet. Parce qu’on a toujours eu tendance à inciter les petites filles à jouer à la poupée et les garçons aux petites voitures…. ». Avant d’évoquer la compétition, il raconte une scène maintes fois observée lorsqu’il encadre les stages de pilotage sur circuit proposés à des entreprises. « En arrivant, les femmes entendent leurs collègues masculins se dire « On va se tirer la bourre ! » alors elles prennent un peu peur et ne veulent pas conduire la monoplace. Là, je leur dis : on va faire un deal ! Si au bout d’un tour, ça ne vous plait pas, vous arrêtez ! Eh bien dans 99% des cas, elles demandent à faire un deuxième tour. Très souvent, on les voit progresser au cours de la journée, le temps de tout mettre en place. En plus, les femmes sont souvent plus attentives et plus réceptives. Alors que l’homme veut rouler vite avant même de comprendre ! »
Une femme, l’Américaine Danica Patrick, a gagné en IndyCar !
Et concernant la Formule 1, « on a confié aux rares femmes qui s’y sont essayé (*) des voitures pas performantes. En plus, les femmes pouvaient pécher à une époque par manque de physique, quand les bolides étaient très difficiles à conduire, sans direction assistée par exemple. Mais aujourd’hui, on demande aux pilotes d’arrêter la musculation excessive au niveau des bras. Donc je ne vois pas pourquoi une femme n’irait pas aussi vite qu’un homme dans une monoplace ! En IndyCar, Danica Patrick a été très performante » observe Denis Plichet.. L’Américaine a été effectivement la première femme à gagner une course d’IndyCar, au Japon, en 2008, à 26 ans. L’année suivante, elle a pris la 3ème place des redoutables 500 Miles d’Indianapolis.
Lilou Wadoux a déjà un très bon niveau
Au sujet de Lilou Wadoux, Denis Plichet ne déroge pas à son principe selon lequel la monoplace est la meilleure école de pilotage. « Je trouve dommage qu’elle n’ait pas tenté sa chance en W Series (NDLR : le championnat féminin, organisé et financé par la FIA) car en plus les pilotes n’ont rien à débourser. Suite à des sélections, elle aurait peut-être pu avoir sa place. » Reste que le moniteur de pilotage et coach avait déjà repéré la jeune pilote picarde qui a rejoint Autosport GP cette année. « JB Mela m’a présenté Lilou lors de la manche de l’Alpine Cup à Magny-Cours en septembre, mais j’avais vu ses performances en 308 en 2018, car j’étais coach d’un autre pilote, Amaury Richard. Et je m’étais dit que c’était une fille qui roulait vite, qui roulait bien. Donc en Alpine, elle confirme qu’elle a un très bon niveau. » Lilou Wadoux, 19 ans, occupe la 6ème place du classement général de l’AEEC, 3ème des juniors et meilleure féminine. « Je pense qu’un jour des femmes pourront gagner des Grands Prix de Formule 1 » pronostique Denis Plichet. Mais Lilou Wadoux, elle, rêve surtout des courses d’endurance, type 24 Heures du Mans….
Reportage Léandre Leber
Crédit Photos DR, Léandre Leber et Morrison_2001
Rédaction Vincent Delorme
(*) : Deux Italiennes ont joué les pionnières en Formule 1. Maria Teresa De Filippis, dont la meilleure perf a été une 10ème place au Grand Prix de Belgique 1958. Puis surtout Lella Lombardi. 6ème du Grand Prix d’Espagne 1975, elle a également couru plusieurs fois les 24 Heures du Mans. Depuis, quelques autres femmes ont disputé des qualifs de GP de F1, mais sans réussir à décrocher une place sur la grille de départ. Alors qu’au Mans, une soixantaine de femmes ont pris part aux 24 Heures, en 87 éditions.