Le 17 octobre 2019, à 22h le départ de la Diagonale des Fous était donné. Les coureurs s’embarquaient alors pour 166 kilomètres et 9611 mètres de dénivelé positif à travers la Réunion. Parmi-eux, deux Amiénois membres d’Esprit Run : Franck Tack et Vincent Seznec.
À leur retour de la Réunion, nous sommes allés à la rencontre des ces deux utlra-trailers Amiénois. En a découlé un entretien en deux volets. Dans le premier, il est ici question d’une préparation de plus d’un an, d’un entraînement axé sur le dénivelé et d’une motivation toute particulière.
Bonjour à vous deux, pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Franck : Je m’appelle Franck Tack, j’ai 41 ans et je suis professeur d’EPS, papa d’une petite fille de 11 ans et ça a une importance car ça a été mon assistante durant la course. Je suis coureur depuis 2011, mais je goûte au Trail depuis 2013.
Vincent : Moi c’est Vincent Seznec, enseignant chercheur à l’UPJV, je pratique la course à pied depuis quatre ans et mes deux filles et ma femme m’ont suivi sur la course.
Quel est votre passé dans la course à pied ?
Franck : Moi je suis footballeur à la base. C’est la transition presque logique, c’est à dire qu’on veut continuer une activité physique donc on vient à la course à pied comme ça. Après j’ai toujours aimé la compétition.
Vincent : J’étais véliplanchiste étant ado et étudiant. J’ai arrêté totalement le sport avec l’arrivée des enfants et quand j’ai eu plus de temps je m’y suis remis.
Il y a trois quatre courses dont tout le monde rêve, et le Grand Raid en fait partie
Vincent Seznec
Une question simple pour commencer, pourquoi s’inscrit-on au grand raid ?
Franck : Ce n’est pas une question bête. En fait quand on goûte au Trail, on est vite attiré par la longue distance, et quand on est attiré par la longue distance et que l’on aime, l’objectif presque suprême c’est de participer au Grand Raid. Ça fait partie des courses mythiques, reconnue parmi les cinq Trails les plus difficiles, mais au-delà de la difficulté c’est toute une ambiance, une île, une traversée, un côté mystique et mythique.
Vincent : C’est l’une des courses que l’on veut faire au moins une fois, et surtout la terminer, l’objectif de temps est secondaire. Comme l’UTMB, toute personne qui court en montagne a envie de la faire au moins une fois. Il y a trois quatre courses dont tout le monde rêve, et le Grand Raid en fait partie.
Comment peut-on se préparer pour une telle course (166 km et 9611 m de dénivelé positif) ?
Franck : C’est une préparation qui ne se fait pas en six mois, j’ai envie de dire que c’est la récompense de plusieurs années. Sinon c’est réellement un an où l’on se fixe cet objectif-là et c’est le seul objectif de la saison. On va avoir des étapes, des courses intermédiaires où l’on se moque complètement de la performance. On travaille surtout les sensations, on va travailler la course sans bâton, car c’est une des particularités du Grand Raid : on n’a pas le droit aux bâtons. Durant un an on travaille le foncier, le dénivelé, et beaucoup de renforcement musculaire pour nous qui n’avons pas les montagnes tout près.
C’est une préparation qui ne se fait pas en six mois, j’ai envie de dire que c’est la récompense de plusieurs années.
Franck Tack
Avez-vous suivi un programme d’entraînement durant cette année de préparation ?
Vincent : On sait globalement qu’à tant de semaines de l’échéance il faut claquer un gros week-end de dénivelé, et on monte comme cela au fil de la saison. Mais après c’est au feeling de chacun, car on n’est pas tous capables d’enchaîner les mêmes quantités de distances et de dénivelés.
Quelles ont été vos courses de préparation ?
Franck : On va quand même rechercher de la grande distance, avec du dénivelé. À titre d’exemple moi j’ai commencé par la ONE&1 en avril, c’était un 50km + 25km sur deux jours, ensuite j’ai enchaîné avec un gros mois de juillet à la montagne en terme de rando, et après au mois d’août ça a été un enchaînement Méribel un 50km et l’Échappée Belle 85km.
Vincent : Sur le mois d’août on a enchaîné les mêmes courses et beaucoup de randos. Si je ne me trompe pas, cette année le volume doit représenter 1500 kilomètres et je dois être à quasiment 90 000 mètres de dénivelé sans la course. Donc j’ai fait 100 000 de dénivelé avec la course sur l’année…
Franck : J’ai fait un peu moins de dénivelé parce que je voulais me préserver, j’avais vraiment comme objectif d’arriver avec de la fraîcheur.
Vous aviez un nombre de kilomètres à faire chaque semaine ?
Vincent : Cette année, et je pense que c’est pareil pour Franck, comme on a déjà fait des Ultras, la distance ce n’est pas ce qui nous inquiétait le plus. Cette année il fallait vraiment « bouffer » du dénivelé, monter et descendre. Surtout sans bâton en fait, puisqu’avec des bâtons, quoi qu’il arrive on va réussir à monter, mais sans bâton se prendre 1500 mètres de dénivelé d’un coup ça pique un peu plus.
Préparation d’autant plus compliquée qu’il y a peu de montagne dans le secteur…
Franck : On a la chance d’être enseignants donc ça nous permet de partir un peu. Par exemple moi j’ai fait quasiment deux mois d’été que sur de la montagne où j’ai pu faire du dénivelé. Sinon j’étais redescendu trois semaines avant la course pour faire la traversée des Aravis.
Vincent : On a quand même quelques petites côtes qui permettent de travailler un peu, on fait le hamster : monter-descendre pendant deux heures, ça permet de faire 1000 m de dénivelé au bout de deux heures…
Franck : Et ça c’est le quotidien, c’est la réalité des choses, parce qu’on parle de nos déplacements, qui représentent de gros morceaux de préparation, mais notre quotidien il est ici, et on fait de la répétition sans cesse.
Qu’est-ce qui fait que l’on tient, que l’on ne perd pas la motivation ?
Franck : Pour moi c’est le côté aventure, la découverte d’un nouvel environnement, c’est l’ultra endurance, la recherche d’émotions en fait. Pas forcément la recherche de limites parce que moi je trouve ça bête d’arriver à sa limite…
Vincent : C’est pour cela qu’avant de faire une course comme le Grand Raid, il faut en avoir fait un ou deux (ndlr : Ultra Trail), pour connaître la gestion. On sait qu’il y a des moments où ça ne va pas le faire : un peu mal au ventre, les jambes qui ne sont plus là, un coup de fatigue. Quand on se connaît on sait que ça va durer trente minutes, une heure, trois heures mais que ça va revenir.
Franck : Et on a des méthodes propre à nous-mêmes qui font que l’on sait que l’on va repartir.
La routine d’entraînement est-elle parfois contraignante ?
Franck : C’est la particularité du Trail, on peut toujours innover en terme de séance et on peut faire énormément d’entraînements croisés. J’ai fait beaucoup plus de VTT que d’habitude, donc ça nous permet de varier et de toujours avoir cette idée en tête de travailler la puissance musculaire.
Après toute cette préparation, dans quelle optique arrivez-vous à la Réunion ?
Vincent : L’idée pour moi c’était d’abord de finir, car en plus j’enquillais cinq jours de randonnée avec la famille en itinérant… donc il ne fallait pas que je me casse une jambe, et je voulais aussi arriver le samedi avant la nuit, car je ne voulais pas passer trois nuits dehors. Mon objectif ultime c’était de faire 40-42 heures.
Franck : Pareil, je voulais finir avant tout, puisque je pense que c’est toujours difficile d’accepter l’échec, surtout après tant de préparation, autant de choix, je ne parle pas de sacrifices, ce sont des choix. Et puis après j’avais 39h en tête, au vu de mon expérience de mes dernières courses.
Dans quel état est-on sur la ligne de départ ?
Vincent : Là on revit un peu l’année que l’on a passée je pense.
Franck : C’est exactement ça. C’est marrant parce que l’on se retrouve quelques minutes avant le départ, et pendant une demi-heure on ne s’échange pas beaucoup de mots, c’est assez intérieur, on observe, on se remet beaucoup d’image de l’année, des images des copains restés en métropole, de la famille. Enfin voilà c’est un mélange d’émotions incroyables dans une ambiance qui est juste folle. On n’avait jamais vu ça ailleurs en fait.
Vincent : Le lieu de départ il y a des grandes scènes avec des concerts histoire de nous occuper un peu, car on reste quand même pendant deux heures dans le SAS de départ. Mais oui j’ai l’impression que l’on fait une rétrospective de l’année qui est passée.
Ce jeudi 28 novembre, à 12h, retrouvez la seconde partie de cette interview, dans laquelle les deux hommes nous racontent le déroulement de leur course, qui aura été pour chacun, une succession d’émotions incroyables.
Propos recueillis par Quentin Ducrocq
Crédits photos DR