FOOTBALL : A la découverte de Simon Lucq, préparateur physique de l’Amiens SC
Préparateur physique de l’équipe première de l’Amiens SC depuis quatre ans, Simon Lucq est l’un des personnages-clés à l’origine de la bonne saison des Amiénois, actuellement cinquièmes du championnat de France de Ligue 2. Pour GazetteSports, il a accepté de revenir sur son parcours et sa vision du métier de préparateur physique. Entretien.
Simon Lucq, comment devient-on préparateur physique de l’Amiens SC ?
Au départ, j’étais joueur de football à petit niveau. Je viens d’une famille très sportive et j’ai été très vite intéressé par le milieu de l’entraînement. J’ai donc passé les diplômes d’éducateur sur le plan fédéral. Par la suite, j’ai passé un baccalauréat scientifique pour intégrer une licence STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives). Durant cette licence, j’ai eu la chance de croiser des enseignants de qualité et qui m’ont donné le goût à la préparation physique. C’est ainsi que, dans le cadre de ma formation, j’ai réalisé un stage au sein du club. Ensuite, j’ai eu la chance de travailler dans toutes les entités du club. Aujourd’hui, j’ai la chance de vivre de mon métier et de ma passion. Quoi qu’il en soit, j’ai toujours voulu avoir un métier en rapport avec le sport et l’activité physique. N’ayant pas un passé de joueur de haut-niveau, c’était aussi le métier qui pouvait me permettre de travailler un jour avec des sportifs de haut-niveau.
Depuis combien de temps êtes-vous au club ?
C’est ma neuvième année. J’ai fait deux années à la préformation, c’est-à-dire les enfants de onze à quinze ans, sous la direction de Patrice Descamps. Ensuite, j’ai fait une année en U17, une année en U19 puis une saison en CFA2. Je travaille donc avec les professionnels depuis quatre ans. Au départ, je souhaitais apporter ma pierre à l’édifice, j’ai donc tenté de faire évoluer le projet de préparation physique à l’échelle de l’ensemble du club. Pour moi, un sportif de haut niveau ne peut pas se contenter d’avoir des qualités naturelles ou bien de s’entraîner dur. Il faut savoir cumuler les deux et surtout prendre en compte l’âge des joueurs. Pour le développement des qualités physiques, il y a ce que l’on appelle des âges d’or. Si l’on ne fait pas bien les choses à cette période, c’est difficilement récupérable par la suite. C’est donc crucial de bien travailler chez les jeunes. Ce travail de recherche, dès la préformation, a marqué un peu les entraîneurs avec lesquels j’ai travaillé. Je sais que j’ai aussi bénéficié de la conjoncture du club à un moment donné. Pendant une saison, le staff professionnel a été resserré sur un trio, sans préparateur physique à temps plein. A ce moment-là, je travaillais avec la réserve et j’ai donc eu certains joueurs professionnels en réathlétisation. L’entraîneur de l’époque, Francis De Taddeo, a eu de bons retours de mon travail, j’ai donc eu l’opportunité d’intégrer le staff technique de l’équipe première la saison suivante. Aujourd’hui, tout se passe très bien avec Christophe (Pelissier), je suis très content de mon évolution personnelle mais aussi et surtout celle du club. Aujourd’hui, nous avons un préparateur physique stagiaire par équipe au niveau de la formation et un préparateur physique pour l’équipe réserve. Le travail de structuration de la préparation physique au sein de toutes les équipes du club se poursuit au quotidien.
Finalement, quand vous êtes entré au club, l’ambition secrète était de devenir le préparateur physique de l’équipe première…
Tout à fait. J’ai eu la chance de bénéficier de nombreux intervenants sur le plan fédéral. J’ai passé mes diplômes d’entraîneur jusqu’au brevet d’Etat. J’ai bénéficié d’excellents enseignants à la faculté, j’ai travaillé avec de très bons entraîneurs au niveau du centre de formation et de la préformation. A partir de là, on a attiré mon attention sur l’ensemble des procédés d’entraînement que l’on pouvait mettre en place. Pour ma part, j’ai toujours eu cette approche de recherche scientifique sur la préparation physique. Ce côté scientifique et théorique associé à une petite connaissance du jeu, cela m’a donné envie de faire carrière dans ce domaine. S’il est vrai que c’était mon ambition personnelle, j’ai aussi eu de la chance et la confiance des entraîneurs au sein du club. C’est grâce à cet ensemble de choses que je peux m’exprimer aujourd’hui. A partir du moment où on m’a donné ma chance, je pense m’être investi à la hauteur du projet.
En France, on parle rarement de cet aspect de la préparation physique. Pour autant, celui-ci devient de plus en plus prégnant quand on analyse l’évolution actuelle du jeu…
Cette remarque est intéressante. Quand on analyse un groupe professionnel, l’objectif est que le joueur soit en capacité de performer le week-end. Je me vois comme un allié du joueur, mon rôle est de poser le maximum de problèmes à l’entraîneur. Plus le joueur est à un pourcentage maximal de son potentiel, plus il est apte à jouer le week-end. Cela devient donc un problème, mais un bon problème, pour l’entraîneur qui se retrouve en position de devoir trancher entre plusieurs joueurs. Il faut donc effectivement que le projet athlétique soit basé sur le projet de jeu souhaité par l’entraîneur. Pour les transitions par exemple, nous avons l’idée d’axer notre jeu sur la profondeur. Il est donc important pour le joueur offensif de répéter les efforts intensifs et brefs pendant un match. Sans quoi, il sera difficile de pouvoir respecter le projet de jeu du coach. Une fois que le projet de jeu de l’équipe est connu, que nous analysons les capacités du joueur, on peut alors orienter l’individualisation de la préparation athlétique. Il est vrai que l’on ne communique pas beaucoup sur l’importance d’un préparateur physique, mais les clubs comprennent de plus en plus que cela est un facteur important de la bonne performance d’une équipe. Cela devient difficile d’être joueur professionnel sans optimiser cet aspect de la performance.
Depuis le début de cette interview, vous évoquez régulièrement l’aspect scientifique de votre métier. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?
Je m’appuie beaucoup sur la littérature scientifique, des revues médicales orientées sur le sport. Ensuite, on retrouve de nombreuses contributions sur internet. Puis, j’ai eu la chance d’avoir un enseignant comme Martin Bucheit, aujourd’hui responsable du département performance au Paris Saint-Germain. Cela me permet d’analyser les différences entre plusieurs méthodologies d’entraînement ou bien encore sur les impacts d’une orientation choisie dans la préparation physique.
Justement, à partir de cette approche scientifique, quels sont, selon vous, les axes de progression pour la préparation physique de haut niveau ?
L’enjeu du moment reste la qualité de la prescription de l’entraînement. Aujourd’hui, le préparateur physique doit devenir un adjoint du procédé d’entraînement de l’entraîneur principal. Il doit évaluer ce que l’entraîneur met en place sur le terrain, pour ensuite intervenir de manière supplémentée sur les manquements pour certains profils de joueurs. Les joueurs sont donc monitorés pendant les séances d’entraînement mais aussi pendant les matches. Les préparateurs physiques peuvent ainsi identifier les potentiels manques de manière individualisée. On peut ainsi anticiper les risques de sous-entraînement ou de surentraînement, en fonction des capacités physiologiques du moment du joueur, et ainsi procéder à une adaptation spécifique pour le joueur en question.
Cela débouche donc sur une préparation plus individualisée que jamais…
C’est exactement cela. Il faut individualiser un maximum les choses. Chaque profil de joueur est différent. Nous avons des joueurs qui sortent de la formation, qui ont des capacités d’encaisser certaines charges d’entraînement et qui demeurent à façonner. A côté de cela, nous avons des joueurs où il faut gérer les charges d’entraînements puisqu’ils sont à un stade plus avancé de leur carrière. Certains joueurs vont ainsi moins développer les qualités de force en musculation, tandis que les plus jeunes doivent encore se parfaire dans ce domaine. Julien (Ielsch) et Tanguy (Ndombélé) n’ont pas du tout le même profil, par exemple. Les qualités de force, d’endurance, de vitesse sont différentes. Julien a besoin de piqures de rappel sur le plan athlétique afin de performer le week-end. Tanguy peut s’entraîner davantage afin d’augmenter son potentiel sur le plan athlétique.
A partir de tous ces éléments, peut-on dire qu’il existe une semaine-type de travail pour le préparateur physique de l’Amiens SC ?
Nous avons trois grosses dominantes prioritaires qui sont l’endurance, la force et la vitesse. Sur un cycle d’un mois, nous balayons ces différentes qualités l’une après l’autre. La quatrième semaine étant réservée à la régénération et l’individualisation. Nous avons aussi une réflexion en fonction du temps de jeu des joueurs. Il y a souvent des séances supplémentaires pour les joueurs en manque de temps de jeu. La semaine classique ressemble donc à du travail en préséance et en post-séance et une séance plus intense au milieu de la semaine sur une des dominantes explicitées auparavant. Ensuite, il y a un gros travail de prévention afin de prévenir des blessures. La force de l’Amiens SC réside dans l’excellente communication entre le staff technique et le staff médical. Nous avons des retours très rapides et d’une extrême qualité de la part des kinés du club. Cela permet au préparateur physique d’être informé et, le cas échéant, aller questionner le joueur ou les données GPS pour en savoir un peu plus. Sur les séances à 48 heures du match, nous n’avons pas forcément de séance collective commune. Certains joueurs peuvent très bien ne pas sortir, parce qu’ils seront sur la charge, tandis que d’autres sortiront pour un contenu différencié. Le préparateur physique doit s’adapter sur la manière dont il va prescrire la charge athlétique. Elle peut être dans du jeu, on va donc adapter des formes jouées en fonction de la qualité que l’on veut développer en jouant sur l’espace de jeu, sur le nombre de joueurs. Cela peut être de l’activité et de la course sans ballon, tandis que certains entraîneurs seront sur des choses plus mixtes. Le préparateur physique peut aussi proposer des choses à l’entraîneur, mais c’est toujours ce dernier qui décide.
Depuis le début de saison, le club a opté pour un suivi GPS des joueurs. C’était l’élément manquant du projet de préparation physique développé au sein du club…
Dès la montée, il était acté que nous voulions monitorer les joueurs. C’était une volonté de l’ensemble du staff technique. Cela fournit des informations supplémentaires au préparateur physique. Cela permet d’argumenter des analyses sur des types de jeu ou des charges d’entraînement. Cela facilite également la construction des séances d’entraînement, c’est un atout indéniable pour une analyse quantitative mais aussi qualitative.
Et cela facilite le suivi régulier et individuel des joueurs…
Exactement. Lorsque nous sommes sur un cycle de préparation avec des séances doublées, le matin nous pouvons avoir des séances assez fortes sur le plan aérobie, cela permet d’expliciter les raisons pour lesquelles certains joueurs ne l’ont pas atteint. Ces joueurs-là vont donc avoir une séance spécifique l’après-midi afin de progresser plus rapidement. L’idée est de bien analyser l’entraîneur afin de pouvoir compenser et ainsi avoir une homogénéité de l’entraînement sur l’ensemble des joueurs.
Concrètement, comment traitez-vous ces données GPS ?
Nous avons la chance d’avoir un système utilisable en match, même si nous n’avons pas le droit de nous en servir en plein match. Dès la fin du match, je décharge les données et je regarde si le joueur est dans ses standards de ce qu’il peut faire sur une rencontre. Deux heures après la rencontre, chaque joueur dispose de son rapport individuel, également transmis au coach. Nous avons des informations sur le volume standard d’un joueur. Par exemple, la distance totale parcourue, le temps passé par zone de vitesse et les intensités en ce qui concerne le nombre de sprints et d’accélérations. Si je remarque qu’un joueur est vraiment bas sur l’ensemble de ces critiques, il y a plusieurs options : soit il est dans le rouge, soit il est un peu trop léger en matière d’entraînement. Cela conditionne donc la semaine d’entraînement qui va suivre. Si au bout d’un ou deux jours d’entraînement, je ressens que les charges sont déjà bien élevées, je vais conseiller au coach de faire une séance plus légère 48 heures avant la rencontre. Les contenus de l’entraînement peuvent donc être adaptés pour certains joueurs voire pour l’ensemble du groupe. Après, il faut aussi regarder les données d’un match avec un aspect critique. Le scénario du match peut influencer les données recueillies. Si nous avons joué un bloc bas avec peu de profondeur, nous aurons certainement moins de sprints et d’accélérations mais un volume de jeu plus important.
C’est là que les connaissances du jeu s’avèrent également très importantes…
Et aussi la qualité des échanges avec les préparateurs physiques des autres structures. Cela permet d’avoir des données du haut niveau et ainsi savoir où on se situe. Ce qui est sûr, c’est que le système de jeu va influencer. Il y a de nombreux éléments qu’il faut prendre en compte. Il ne faut pas être trop extrémiste par rapport aux données récoltées. Je pense notamment à certains matches, où nous n’avions pas été étonnés de voir que nous étions un peu plus light sur l’ensemble des joueurs.
Sur un match contre Troyes, les données GPS étaient à l’image du match ?
Pas forcément, non. Nous étions un peu moins pêchus sur les efforts très intenses mais les volumes de course étaient plutôt corrects. Cela prouve que l’aspect athlétique n’est qu’une composante de la performance et que cela ne suffit pas pour être champion de Ligue 2. Sans quoi, les clubs ne recruteraient qu’en fonction de cet aspect.
En dehors de l’Amiens SC, vous jouez vous-même au football avec les hospitaliers d’Amiens. Cela devient-il compliqué de cumuler les deux ?
C’est de plus en plus compliqué, mais cela reste un réel bonheur de retrouver les partenaires et de pouvoir partager des moments de vie autour du sport avec ce club. Parfois, c’est difficile de déconnecter dans le sens où je suis un peu râleur pendant les entraînements (rires). Je suis en permanence exigeant mais ils ne m’en tiennent pas trop rigueur à partir du moment où je leur mets quelques places de côté pour venir voir des matches (rires). Pour en revenir à la question, cela me permet de continuer à jouer au football. Je manquais de qualités pour devenir un football professionnel, mais je ne vis pas ma carrière de préparateur physique avec l’idée de compenser l’absence d’une carrière de joueur. Je suis très heureux du rôle qui est le mien à l’Amiens SC, aujourd’hui. Je ne remercierai jamais assez les dirigeants pour la confiance donnée.
Propos recueillis par Romain PECHON
Retrouvez la première partie de l’interview de Simon Lucq, axée sur la saison de l’Amiens SC.
FOOTBALL : A la découverte de Simon Lucq, préparateur physique de l’Amiens SC