Après huit saisons sous les couleurs de l’Amiens Picardie Handball, Thomas Zirn, qui aurait préféré une autre fin avec le club samarien, s’envole vers d’autres horizons. L’ailier droit revient sur ses années amiénoises et évoque avec émotion la triste fin de l’APH.
C’est dans un contexte très particulier que 16 des 17 joueurs qui composaient l’effectif de l’Amiens Picardie Handball, qui existe aujourd’hui sous le nom Amiens Handball Club, ont quitté le club à l’issue de la saison. Pour certains d’entre eux, ce départ a un léger goût amer, même si cette saison aux allures de cauchemar a laissé des traces. Thomas Zirn, 33 ans, le vit plutôt comme un soulagement, alors qu’il va rejoindre le club d’Abbeville, bien qu’il avait affirmé à plusieurs reprises vouloir finir sa carrière à Amiens, mais dans d’autres conditions…
Vous quittez le club d’Amiens après huit saisons disputées. On imagine que vous auriez préféré une autre fin que celle que l’on connait ?
Oui, clairement, je pars d’une façon un petit peu particulière puisque je n’ai pas pu faire une saison complète à cause de ma blessure au genou. Je n’ai pas pu profiter de mes derniers instants. En plus, ça s’est un peu fait de manière imprévisible : quand l’équipe a joué le dernier match à domicile, on ne savait pas que ça allait être le dernier de tous les temps.
Comment avez-vous vécu cette fin pour le club ?
C’est triste, ça fait certainement partie de la vie d’association et d’entreprise. Parfois, il faut prendre des décisions et décider de liquider ou déjà de mettre en redressement judiciaire le club. Je respecte les gens qui prennent des décisions parce que c’est trop facile de jeter la pierre sur les personnes qui prennent des décisions, mais je suis assez peiné. Amiens avait tout pour être un grand club, pour pouvoir accéder à la division supérieure et au monde professionnel, donc je suis un peu triste.
On n’a jamais rien lâché, on a toujours fait de belles saisons
Thomas Zirn
Ces dernières années, la situation autour du club a impacté le sportif et l’équipe première avec plusieurs sanctions sportives. Malgré cela, le collectif a toujours répondu présent sur le terrain…
Ce qui est assez incroyable, c’est la beauté du sport. Parfois, dans un autre club ou avec les mêmes conditions, ça part en vrille. La force de l’APH était vraiment le groupe de N1 et les Pirates qu’il y avait sur le terrain, parce qu’on n’a jamais rien lâché. On a toujours fait des belles saisons, des beaux matchs, je pense que les spectateurs ont pu, jusqu’au bout, profiter du moment et du handball. C’est bizarre de se dire qu’on a été pénalisé, depuis quatre ans, avec des retards de paiement qu’on n’a jamais forcément évoqués, et finalement, on a toujours réussi à être bon sur le terrain. C’est le côté vraiment sportif et compétiteur des gars.
Collectivement, l’effectif a semble-t-il réussi à rester concentré sur le terrain, mais personnellement, comment viviez-vous ces sanctions sur les dernières saisons ?
Il y a eu la première relégation, de N1 Elite à N1, qu’on a rapidement digérée après le Covid, parce que la N1 était encore un bon niveau de jeu. Les retraits de points, à la rigueur, n’impactaient pas vraiment notre saison et notre niveau de jeu, ils ne mettaient pas en péril notre maintien. C’était plutôt une sanction qui nous passait un petit peu par-dessus la tête. Mais la dernière sanction, celle de la rétrogradation en N2, a fait très mal au groupe et à l’esprit du groupe. On a pris cher (sic), parce que ce n’est plus du tout le même niveau.
Cette dernière saison a vraiment été particulière, avec le redressement judiciaire du club, mais aussi le départ du duo d’entraîneurs Julien Richard et Yuriy Petrenko. Pour la dernière saison de tout un groupe, puisque finalement tout le monde est parti à l’exception de Djanis Boisne-Noc, c’était très mouvementé…
C’était très compliqué cette année. C’était compliqué moralement, mentalement et physiquement. C’était très éprouvant, je pense que ma blessure est liée à ce contexte. À chaque fois que je me suis blessé dans ma carrière, c’était lié à un mal-être, à une situation complexe. Je pense sincèrement que j’y ai perdu un genou dans la bagarre, à vouloir bien faire. Malgré tout, je pense avoir fait une bonne saison [jusqu’à la blessure] et été irréprochable sur le terrain. La situation ne m’a pas impacté sportivement, j’arrivais à faire la part des choses sur le terrain. Je pense qu’on a pris quelques années dans la tête.
Cette blessure, justement, elle a été un problème de plus dans cette saison ?
C’est un peu paradoxal, mais j’ai la sensation qu’à partir du moment où j’ai été blessé, j’ai pu prendre du recul sur la situation du club et respirer, aller mieux. C’est difficilement descriptible, mais vraiment ça m’a éloigné des problèmes, parce que c’est très frustrant sur le terrain d’être irréprochable, de faire le boulot, et finalement ça n’a aucun impact sur l’avenir du club. C’est ça qui était difficile à gérer, et je crois qu’en me blessant, j’ai pu peut-être prendre du recul.
Comme vous le disiez, il n’y avait plus d’entraîneurs. Même si Rabah Soudani a fait de son mieux, ce n’était pas la même structure. La motivation des gars était quand même un peu mise en péril à l’entraînement. Mais c’est normal, quand on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé, sans objectif, c’est quelque chose de très dur à vivre. D’un côté, ça a été très dur à gérer, parce que j’aurais aimé profiter de cette dernière saison pleinement avec les gars, que je ne reverrai peut-être jamais, et avec qui j’ai partagé beaucoup d’années.
Le plus important était qu’il y ait un club à la rentrée
Thomas Zirn
Revenons sur la situation du club. Il y a eu une sorte de guerre pour récupérer le numéro d’affiliation. Après une telle saison, voir des personnes se battre de la sorte, était-ce difficile à vivre ?
Je pense que le plus important était qu’il y ait un club à la rentrée, pour que les licenciés puissent encore se défendre, que les jeunes puissent jouer au handball. Dans tous les cas, quand il y a un redressement, ou en tout cas un dépôt de bilan, c’est très compliqué de remonter un projet derrière. On avait d’un côté un projet qui paraissait ambitieux, qui restait un petit peu dans le même cadre avec des partenaires et de l’autre côté un projet qui voulait vraiment conserver ce handball picard et ce secteur amateur. Je me disais que ce n’était pas possible d’être ambitieux après un dépôt de bilan, en tout cas, c’était compliqué, puis le côté amateur ne m’intéresse pas aujourd’hui. Je ne me suis pas positionné par rapport aux deux projets, parce que je ne croyais, entre guillemets, en aucun des deux.
Il y avait finalement très peu de chances que vous restiez ?
Aucune. Aucune chance que je reste, parce que c’était une année compliquée. Je pense qu’il faut arrêter de s’accrocher, il ne faut pas relire le livre plusieurs fois. À un moment quand il se ferme, il faut savoir partir. Je suis bloqué (pour des raisons professionnelles et familiales, ndlr), je suis à Amiens, donc je vais dans un club qui est peut-être moins bon, mais qui a un petit peu d’ambition, qui est structuré pour ne pas reproduire les mêmes erreurs qu’on a pu voir à Amiens. Encore une fois, je ne jette pas la pierre à Amiens, ça fait partie du jeu, ça a été une belle expérience. Je veux faire de la performance, et quand il n’y a pas de moyens, quand il y a tout à reconstruire, c’est complexe.
La saison prochaine, vous allez rebondir du côté d’Abbeville. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
Vous savez, avec un genou en mousse et mon âge (33 ans, ndlr), on n’a pas 36 solutions. Je me suis rapproché d’Abbeville, un club justement qui stagne en N3 depuis quelques années et qui veut passer le cap, avec une paire d’entraîneur-président qui est incroyable selon moi. Ils sont la base d’un beau projet. Arnaud Parisy, que j’ai eu quand j’étais plus jeune, qui est très compétent dans la formation des jeunes, et le président Olivier Clay, qui est un chef d’entreprise dont j’aime beaucoup la façon de faire. On va voir où ça peut m’emmener, mais j’ai vraiment senti dans leurs discours qu’ils attendaient quelque chose de moi, que je pouvais leur apporter quelque chose, et ça, c’est quand même assez chouette. Je suis content d’avoir signé un an là-bas, j’avais besoin pour me relancer, après ne pas avoir joué pendant un an. Avec Nolann Duchesne et Bryan Legras, on est trois amis à aller là-bas.
Nous avions évoqué le sujet lors du dernier match de la saison à domicile. Comment va votre genou et à quel stade êtes-vous dans cette longue rééducation ?
La rééducation se passe toujours très bien. Je vais rentrer en centre de rééducation à Corbie pour cinq semaines. Normalement, je devrais pouvoir reprendre l’entraînement avec l’équipe à la reprise. Mon genou est très bien aujourd’hui, je suis en pleine forme. Il faut juste que je retrouve un petit peu de rythme avec le ballon et retrouver du travail d’appui et du spécifique sans balle. Je pense qu’à Abbeville, je serai affuté et en forme pour faire une belle saison.
Que retenez-vous de ces huit saisons avec l’Amiens Picardie Handball ?
Il y a eu des moments incroyables, toutes les années ont été différentes, avec des coachs qui ont été très intéressants. Il y a quand même un club qui a su se dégager de la région picarde et je trouvais ça hyper intéressant, notamment avec Joël Péron qui avait entamé un petit peu le processus. Ce que je retiens, c’est vraiment qu’on a pris beaucoup de plaisir sur le terrain, on avait une vraie âme d’équipe. En tout cas, à partir du moment où je suis arrivé, je n’ai vécu que de bonnes années sur le terrain, pas de conflits, c’était chouette. Mine de rien, cette année était très enrichissante quand même. Vivre un dépôt de bilan, c’est très dur, c’est enrichissant. J’ai fait des belles rencontres à Amiens, avec de gentils et courageux bénévoles, c’est important aussi de le signaler, parce que sans eux, il n’y aurait pas eu tout ça. À Abbeville, je vais retrouver un club familial, j’espère qu’on vivra de nouveaux moments intéressants.
Propos recueillis par César Willot
Crédit photo : Léandre Leber, Théo Bégler – Gazettesports.fr