Buteur providentiel de Salouël à plusieurs reprises en coupe de France, Corentin Hutin se voit privé du 8ème tour à la Licorne face à Wasquehal, à cause d’une suspension. Loin de la langue de bois habituel, l’attaquant se livre à cœur ouvert sur les nombreuses émotions que lui font vivre cette épopée.
Pour commencer, peux-tu nous parler de ce carton rouge reçu face au Hamel ?
J’ai pris deux matchs. En fait j’avais déjà pris deux cartons jaunes en championnat depuis le début de saison, donc cumulés à ces deux-là en coupe de France, ça fait que je suis suspendu 2 matchs, ça me prive de cette chance de jouer le 8ème.
Le premier jaune qu’il me met, c’est sur ma première faute, j’arrive avec un peu de retard, mais finalement comme un mec remplaçant qui vient de rentrer avec beaucoup d’envie, pas comme quelqu’un qui veut faire mal. Et sur le deuxième, 15 minutes plus tard, il n’a pas hésité, et là pour moi il n’est pas mérité, c’est l’adversaire qui vient sur moi, je ne mets pas de coup. J’étais tellement surpris que je n’ai même pas parlé avec l’arbitre, je suis sorti étonné, vraiment…
Cette qualification avait donc une saveur différente pour toi?
C’était différent oui, j’étais heureux pour l’équipe, mais c’était complétement différent des deux tours précédents où j’avais marqué à chaque fois des buts décisifs. Là je me retrouve à prendre un rouge au bout de 20 minutes, dans la tête ça n’était pas le top… Après la fête a été jolie, mais elle aurait été mieux en sachant que j’aurais pu jouer le 8ème tour. Je savais pertinemment sur le terrain, qu’en prenant deux jaunes, je ne jouerai pas le 8ème tour, c’était fini pour moi.
Je savais pertinemment sur le terrain, qu’en prenant deux jaunes, je ne jouerai pas le 8ème tour, c’était fini pour moi.
Aujourd’hui, une semaine plus tard, as-tu réussi à évacuer cette frustration ?
Non, j’ai du mal, j’y pense jour et nuit depuis. Franchement ça m’embête vraiment, c’est un rêve de gosse de jouer à la Licorne, j’ai joué là-bas (ndlr : à l’Amiens SC) pendant 10 ans. Mais il s’est passé ce qu’il s’est passé et aujourd’hui j’ai encore du mal à encaisser.
Mais j’aurai un autre rôle dans le vestiaire, je vais prendre 5 minutes, que ça soit à la mi-temps ou avant le match pour prendre la parole devant les coéquipiers. Pour avoir un vrai discours, sortir les bons mots, je suis en train de réfléchir à ce que je vais dire, mais vraiment je serai plus qu’un 12ème homme pour eux. La plupart sont dégoûtés pour moi, donc ils joueront avec ça en tête aussi.
C’est aussi l’occasion pour moi de mûrir au niveau footballistique. J’ai arrêté pendant 5 ans, ce sont des matchs que je n’ai jamais joués à part en U19, donc forcément au niveau de la maturité sur le terrain, je dois encore apprendre. La reprise a été super compliquée, et du coup, au niveau des émotions, c’est très dur à gérer, surtout que je suis quelqu’un de très sensible.
Pourtant, jusqu’à ce carton rouge, cette coupe de France était presque rêvée pour toi…
Pour moi il y a d’abord ce match face à Emery/Hallon, au 3ème tour, le coach me fait confiance, me met devant, je marque le deuxième but et c’était terminé pour eux. Ça part de là en fait, et même, je vais dire que ça part de l’élimination contre Chaulnes l’année du Covid, où on perd 2-1 à domicile, où je marque le but pour revenir à 2-1 et on était à 10 contre 11 pendant 60 minutes…
Pour moi ce ne sont pas des matchs comme les autres. On a beau dire ce que l’on veut, quand on enchaîne coupe et championnat c’est très compliqué. Moi j’avais 2 cartons jaunes, ça veut dire que si je prenais un jaune en championnat, la Coupe de France était finie pour moi, donc j’avais un peu le frein à main on va dire…
Mais c’est extraordinaire, si on m’avait dit un jour que je vivrai ça… Marquer le but contre Lambres à la 93ème minute, le but qui nous fait passer devant contre les Portugais de Roubaix, c’est incroyable. Avec des gars comme Adri’ (ndlr : De Sousa), que je connais depuis dix ans, Dero’ (ndlr : Alexi Derobert) que je connais depuis que j’ai 5 ans… Ce sont des choses qui se ressentent sur le terrain, moi je me battrai pour eux, c’est presque dans les gênes après. On a l’impression qu’il ne peut rien nous arriver..
Cette aventure est d’autant plus belle pour toi, que le foot était passé au second plan par la force des choses…
Oui j’avais arrêté durant plusieurs années, j’ai eu un SDRC (Syndrome Douloureux Radical Complexe). Et en fait j’ai repris le foot grâce à quelques potes, dans mon village à Vers sur Selle (D5), qui m’ont dit que même avec mon pied je leur ferai du bien. J’avais toujours cette petite douleur qui me faisait mal et qui m’empêchait de reprendre, qui m’empêchait de me lancer à 100%. Mais j’ai réjoué, et Vers sur Selle a été un déclic pour moi, un renouveau. Et puis je suis parti à Salouël, en D2, et je me suis dit que j’avais encore des choses à faire dans le football. J’ai retrouvé Adrien, Derobert, Léo (ndlr : Tabart), Cyril Louette, Kévin Roger, pas mal de gens que je connaissais. Aujourd’hui je ne regrette vraiment pas, quand je vois tout ce qui se passe, que l’on est petit poucet national, je n’aurais jamais pensé arriver jusque là.
Ce sont les plus belles émotions de ta vie de footballeur ?
Oui je pense. J’ai eu de belles émotions en U19 à Conty, parce que je jouais avec mes 3-4 meilleurs potes. Mais au niveau des émotions, les buts, les sensations que ça procure, ce sont des choses qui ne m’étaient jamais arrivées. Au Hamel jouer devant 1700 spectateurs c’était extraordinaire. Et faire déplacer autant de personnes, la famille, les amis, c’est beau, on n’a même plus les mots.
Au niveau des émotions, les buts, les sensations que ça procure, ce sont des choses qui ne m’étaient jamais arrivées
Pour parler du terrain, comment sens-tu l’équipe à l’approche de ce défi immense ?
Je la sens concernée, je ne sens pas les gars « foufous » parce qu’on va à la Licorne. On a vraiment cette chance à jouer et je pense que depuis Lambres, on est sur un nuage. On a de très bons joueurs, à chaque poste. Je pense que si certains s’étaient donnés à fond dans le foot, ils auraient pu jouer en N3 en étant jeune. Donc moi je n’ai pas peur, dimanche c’est le match de leur vie, on est à 90 minutes de jouer une Ligue 1. La motivation ils l’ont tous.
Tu penses que le groupe va encore réussir à aborder cet événement « sans pression » ?
Il y a un peu de pression, même moi je l’ai sans jouer… Je ressens ce petit truc, cette sensation bizarre en moi, mais c’est une bonne sensation, ce n’est pas du mauvais stress, c’est du bon stress et de la bonne motivation, et c’est ça qui nous a emmenés ici.
Là on va jouer à la Licorne, il va y avoir du monde, donc on est plus chez nous. Je ne pense pas qu’il y ait de peur, mais il y a une bonne pression. C’est une finale de toute façon, et on espère que la magie de la coupe de France va continuer d’opérer.
Tu sens qu’il y a « un petit truc en plus » au club désormais ?
Il y avait déjà un bon collectif, on ne va pas se le cacher, mais l’aventure coupe a vraiment créé une famille. Des gens qui ne se côtoyaient pas forcément en dehors se côtoient aujourd’hui, on a créé un contexte familial d’ensemble au club de Salouël. Les seniors, les jeunes, tous les gens du club forment une seule famille. Et ça on en est très fier. Tout ce qui s’est créé au club, c’est magique, même pour les petits, ça les fait rêver, et ça, nous on le ressent. On sent que les enfants qui nous suivent vont garder ces souvenirs en tête, et ça donne des frissons, ce n’est pas rien.
On sent que les enfants qui nous suivent vont garder ces souvenirs en tête, et ça donne des frissons, ce n’est pas rien.
Penses-tu que ce vous avez vécu cette année, va, en quelque sorte, créer quelque chose qui restera à vie entre vous ?
On a tendance à se voir un peu plus le week-end, faire des soirées, les femmes sont devenues copines entre elles. Au final cette équipe-là, ça sera à vie. Déjà je pense que l’on est parti pour jouer pendant 2-3 ans tous ensemble. On ne veut pas trop recruter, on veut garder cette idée de club familial et de continuer cette route sur laquelle on est parti. Et puis dans le groupe il y a vraiment des mecs du club, je pense à Alex, le capitaine, moi il me fait aimer le club. Mais quand tu fais des exploits comme ça avec un club, aimer et être aimé c’est fabuleux. Je pense que l’on ne se rend pas encore assez compte, parce que l’on est dedans, de la folie que l’on vit. En août personne n’aurait imaginé qu’on serait au 8ème tour, petit poucet de France…
Propos recueillis par Quentin Ducrocq
Crédit photo Audrey Louette Gazettesports.fr