Aujourd’hui, rencontre avec Emma Therial, qui a créé « les Runardes », une association qui permet aux femmes, et à tous ceux qui le souhaitent, de pouvoir faire du sport en extérieur en sécurité. Une structure qui allie bienveillance, bien-être physique et liberté de parole.
Pour commencer, peux-tu nous dire ce qui t’a poussé à créer l’association ?
Mon expérience personnelle et un formulaire que j’ai fait passer dans un échantillon de plusieurs Amiénois. Il a révélé qu’il y avait beaucoup de femmes qui se sentaient en insécurité pendant leur pratique sportive. Etant donné que pour moi aussi c’était le cas, et que je m’étais toujours dit qu’il serait bien qu’une association comme celle-ci existe, je me suis lancé et ça a plutôt bien fonctionné.
Comment fonctionne-elle ?
Au départ on rencontre les futurs membres de l’association, et à partir de ce moment on les fait adhérer à un groupe privé facebook, sur lequel ils peuvent proposer des créneaux s’ils ont envie de faire du sport. Le but c’est aussi de proposer des créneaux à n’importe quelle heure de la journée. Personnellement lorsque j’étais étudiante, j’ai connu les soirs où je rentrais à 20h, où j’avais envie d’aller courir, mais je me disais : « Il fait noir, ce n’est pas possible je ne vais pas y aller. » Si cette association avait existé, j’aurais pu écrire un message sur le groupe et j’aurais pu y aller avec d’autres personnes.
Après, il est vrai que les groupes de running existent à Amiens, mais nous on est politisé quand même. Il y a un enjeu derrière.
En tant qu’homme on n’a pas forcément conscience de cette insécurité, comment cela se matérialise ?
Par des regards, des réflexions déplacées. Pour ma part, j’ai reçu des réflexions qui font peur, sur des endroits fréquentés en pleine journée… Un jour, sur le chemin du halage, alors qu’il n’y avait personne aux alentours, un groupe de trois mecs est passé avec des chiens, moi je courais avec la mienne, et ils ont dit : « Si tu me prends en laisse moi je veux bien courir avec toi. » Dans ce cas-là comment on faisait s’ils décidaient de passer à l’acte ? Forcément le nombre ça dissuade, je me suis dit qu’à plusieurs on aurait été un peu plus fortes face à ce genre de comportement.
Au départ, à mon sens, ce genre d’association ne devrait pas exister.
Paradoxalement, l’existence de ta structure, montre aussi le chemin qu’il reste à parcourir…
Exactement. Au départ, à mon sens, ce genre d’association ne devrait pas exister. On devrait pouvoir aller faire du sport tranquille, sans aucune pression, sans aucune insécurité. Maintenant cela montre que le combat n’est pas fini, et c’est un vecteur qui mènera à une égalité des droits. Le droit de pouvoir faire du sport, le droit au bien-être en toute sécurité.
L’association est-elle réservée aux femmes uniquement ?
Non pas du tout. Je suis féministe et les hommes sont, selon moi, complétement alliés au féminisme. Moi je suis ravie qu’il y ait autant d’hommes qui soient ralliés à l’association et qui soutiennent la cause. On ne fait pas du tout de communautarisme, au contraire, le monde idéal c’est les hommes et les femmes qui se serrent les coudes.
Que représente le Renard, votre symbole ?
Un animal indépendant mais féroce et aussi familier à tous. On le voit un peu partout, c’est un animal que les gens aiment, et pour autant qui n’est pas un animal de compagnie.
Il y a trois semaines a eu lieu votre première sortie « Les Runardes ». Comment s’est-elle passée ?
Elle s’est super bien passée, c’était presque étonnant, je ne m’attendais pas à ce que ça ait touché autant de personnes. Moi qui avais entendu des témoignages de mon entourage proche, je ne pensais pas que l’on était autant à être touché par ça, mais ça a confirmé mon idée. Durant cette sortie on a eu de nombreux témoignages, beaucoup de filles ont eu une parole très ouverte. Il y a eu de la confiance très rapidement, donc c’est vraiment formidable.
En plus de la notion sportive, il y a donc une grande place laissée à la parole…
Les trois mots de l’association sont : santé solidarité et sécurité. La solidarité c’est vraiment le partage, l’humain, le fait que l’on puisse parler ouvertement, qu’il n’y ait pas de honte. Ce qu’on se disait avec les filles la dernière fois, c’est qu’il y a beaucoup de femmes qui n’osent pas dire les choses parce qu’on pense qu’elles mentent. Il y a aussi des gens qui venaient pour simplement faire du sport sans avoir peur du regard de l’autre. Des personnes qui ne sont pas forcément dans l’insécurité physique et dans la peur de l’agression, mais dans l’insécurité psychologique. Dans le sens où il y a beaucoup de gens qui sont complexés et qui n’arrivent pas à faire du sport seul. C’est un groupe plein de bienveillance, le but c’est que tout le monde puisse y accéder. Le but c’est qu’il y ait un maximum de partage humain et un minimum d’insécurité psychologique et physique. Tout cela avec une belle diversité, et un public qui allait de 19 à 65 ans pour notre première !
Le but c’est qu’il y ait un maximum de partage humain et un minimum d’insécurité psychologique et physique
Comme l’association vit-elle durant le confinement ?
On continue à garder le contact. De jeunes sportives professionnelles m’ont démarché après que je leur ai lancé un appel, et même avant d’ailleurs. Elles m’ont proposé bénévolement de donner des petits cours de sports, à l’époque c’était sans savoir qu’il y aurait un confinement. Du coup je les ai recontactés pour savoir si elles voulaient toujours le faire en visio. Et du coup il y a eu le premier cours de sport des Runardes organisé par Valentine Roger.
D’une manière générale quels sont tes objectifs de développement ?
Alors ma première ambition, qui était mon idée à la base, serait de créer une application mobile sur laquelle on pourrait avoir accès au contact Runardes, où l’organisation des créneaux serait un peu plus rapide et un peu plus facile. On pourrait avoir une localisation, quelles personnes sont autour de nous et quelles sont celles disponibles pour un créneau. On pourrait s’inscrire directement à un créneau proposé. Et avoir des moyens de contacter assez rapidement des gens autour de nous, ou les autorités, s’il arrive la moindre chose.
L’objectif c’est aussi de former un grand réseau. Je ne suis pas là pour simplement présider l’association, je suis là pour créer un réseau pour les gens qui veulent faire du sport via les Runardes. Le but serait évidemment que ça se développe ailleurs qu’à Amiens et puis que ça aille plus loin qu’un simple groupe facebook.
Je te laisse le mot de la fin…
J’aimerais simplement que les femmes, comme les hommes, puissent pratiquer leur sport et entretenir leur santé sans devoir passer par ce genre d’association. En plus de faire marcher l’association et que ça aide un maximum de personnes, le but est d’arriver à ce que les gens soient au courant de la situation. Car plein de gens n’ont pas conscience de cette insécurité. Il faut que la parole soit un peu plus libérée et que les gens soient solidaires et agissent s’il y a le moindre soucis, pas seulement au sein du groupe. Dans un monde idéal, il faudrait que ce genre d’agression n’existe plus.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur la page Facebook des Runardes.
Quentin Ducrocq
Crédit photo Coralie Sombret Gazettesports.fr / Les Runardes