La dernière course sur Virtual Regatta a été remportée par un Amiénois, passionné de voile : Léandre Leber, le fondateur de Gazette Sports. Il a créé la surprise en dominant plus de 21 000 gamers.
Avant la Exmouth Mission, régate virtuelle dans l’Océan Indien, « j’étais 715ème mondial, donc clairement outsider, les mieux classés au départ étant dans le top 10″ indique, tel un « vrai » navigateur, Léandre Leber après sa victoire inattendue. Ou plutôt Leandre80, son pseudonyme sur Virtual Regatta, ce jeu vidéo en ligne de course au large, « le premier, dit-il, à avoir été reconnu par une fédération sportive », en l’occurrence la Fédération française de Voile. Fondateur de Gazette Sports en 2014, il est l’un des e-skippers du team OeaG (On en a Gros), classé au 63ème rang mondial. Un pseudo, un nom d’équipe humoristique, tout cela peut faire sourire les non initiés et lui le premier ! Nous connaissons son humour à la rédaction !
En revanche, la passion pour la voile de celui qui est le premier gamer de la Somme à gagner une course Virtual Regatta est quelque chose de sérieux et de bien ancré. « J’ai été scout marin à 12 ans à Trouville. On naviguait jusqu’à l’île de Wight en Angleterre et on sillonné la Manche, entre 14 et 20 ans, sur des voiliers de croisière. Et ensuite un peu à Amiens sur des Laser et des 420. C’est simple, quand je vois un voilier, je frissonne » confie ce licencié du club Amiens Voile. Il admire les skippers qu’il a pu croiser, comme le Normand Manuel Cousin, avec le groupe Setin, l’Amiénois Pierre Antoine et, plus récemment, Victor Eonnet, engagé sur la Mini Transat 2021, avec la Fondation Arthritis. Et il croise les doigts pour rencontrer le chevronné Marc Guillemot, qui portera les couleurs de Metarom Group et de son site de Boves, sur la Route du Rhum, en novembre.
J’ai ressenti la pression (…) à partir de la veille de l’arrivée
De cette passion est né l’attrait de Léandre Leber pour ce jeu en ligne : « J’ai toujours été gamer mais j’ai commencé Virtual Regatta en faisant le dernier Vendée Globe (2020), que j’avais rejoint après le départ, ce qui est autorisé. On part alors d’un point central. J’avais terminé autour de la 28 000ème place sur un million de joueurs. » Et là est arrivée cette course, la Exmouth Mission, ralliant virtuellement les îles Nicobar à Exmouth, sur la côte ouest de l’Australie. Soit 2300 milles dans l’Océan Indien. Une course courte mais très technique du fait d’iles et de prévision météo changeante dans cette zone. « Tout s’est joué sur la météo, j’ai choisi une option Nord et ça a payé » souligne le vainqueur surprise, qui a mis 8 jours, 14 heures, 55 minutes et 14 secondes. Et seulement 2 min 31 sec de moins que le deuxième ! On imagine le sprint final, alors qu’ils étaient 21 172 participants au départ, connectés du monde entier…
« Je ne pensais pas gagner, même si j’ai toujours été bien placé. J’ai commencé à croire au top 5 seulement une douzaine d’heures avant l’arrivée, en voyant l’écart avec ceux de la route Sud. J’ai bien géré la fin de course car sur une épreuve précédente où j’étais dans les dix premiers, j’avais fini 43e » se souvient Leandre80. « J’ai ressenti la pression à partir de dimanche soir, à la veille de l’arrivée. Et maintenant mon bateau va être identifié comme ayant gagné une course. C’est un peu comme si j’avais éliminé un gros en Coupe de France ! » indique-t-il, fin connaisseur de la glorieuse incertitude du sport.
Et ça, tout en travaillant… « Au boulot, pendant que certain.e.s faisaient une pause cigarette, je checkais la course. » En fait, il s’est organisé pour être « au taquet » dans la foulée des quatre points météo quotidiens, au petit matin, à la mi-journée, en fin d’après-midi et à 23h30. « Et encore, le dernier du soir, pas toujours… » Le pilote automatique a donc souvent été activé. Excepté pour la dernière nuit de course où « mon horloge biologique m’a réveillé » sourit le journaliste amiénois, fier d’avoir gagné « sans routeur externe », autrement dit en se fiant uniquement à la météo de la course interne au jeu, ce qui lui a valu les félicitations de plusieurs autres gamers qui saluent « la victoire d’un choix météo ! ». Le nombre de joueurs qui le suivent sur Virtual Regatta a d’ailleurs pratiquement doublé depuis l’arrivée.
Sodebo sélectionne son e-skipper sur Virtual Regatta
On le mesure bien : par l’adrénaline qu’il peut procurer, par la « popularité » qu’il peut engendrer, par son jargon, le e-sport présente des points communs avec le sport « physique ». Évidemment, si le risque d’addiction existe, les e-skippers ne courent pas les dangers des navigateurs, mais ils se prennent au jeu : « plus on fait des virements de bord, plus on e-fatigue et les virements sont plus lents. Mais on peut en faire beaucoup plus que dans la réalité. La différence, c’est que là, je peux changer de voiles en cinq ou dix minutes au lieu d’une heure peut-être, sur un bateau en solitaire et en fonction du type de voilier. Mais je suis surtout content de m’en être tenu à mon option, sur la route a priori plus lente mais plus directe » précise Leandre80.
Et pour ceux qui raillent encore ces performances et le e-sport en général, il faut savoir que, comme tout phénomène sociétal, les grandes marques y sont très attentives. Pour preuve, la décision de Sodebo, sponsor principal et historique de Thomas Coville, de sélectionner un e-skipper sur Virtual Regatta pour lui faire porter les couleurs de la marque dans la e-Route du Rhum, parallèlement à la course en mer, cet automne. « Honnêtement, je n’ai pas le niveau, je cumule environ 8h par semaine sur ce jeu, reconnaît Léandre Leber. J’ai été touché par tous les messages, d’anglais de français, d’amiénois et de ma team ! L’un de nos membre « kaamelott » à même fait vivre en direct les dernières minutes de la course ! Je ne l’ai vu qu’après l’arrivée car lors des 2 dernières heures je donnais une formation en journalisme à une dizaine de jeunes… » Et si le e-sport était plus fair-play que le sport ?
Vincent Delorme
Crédit photos : Kevin Devigne – Gazette Sports et DR (Élie Leber)