FOOTBALL – Laurent Mortel : « Vous n’avez pas le temps parce que vous êtes jugés sur les résultats » (2/2)

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Suite de notre entretien avec Laurent Mortel réalisé en juin dernier et où il évoque l’expérience de la D1 féminine qu’il a vécue avec l’ASJ Soyaux la saison dernière.

Quelles sont vos ambitions pour la suite ?

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Je ne peux pas vraiment vous dire. Il y a des choses qui devaient se faire et qui ne se sont pas faites mais se feront peut-être plus tard. On a retracé mon parcours entre le prof, l’entraîneur de CFA2, les projets universitaires, aujourd’hui la D1, je n’ai jamais fonctionné par carrière, je fais les choses par rapport à ce que je ressens. Tout ce que je peux dire, c’est ce que j’ai mis en place avec l’université de Montpellier sur le seul diplôme en France de préparation athlétique me permets d’avoir un réseau où je côtoie la plupart des staffs de L1, de L2 et même à l’étranger. Lundi prochain, je serai pendant 15 jours avec Carlo Spignoli, le préparateur physique de la Sampdoria de Gênes qui bosse avec Ranieri. Benoît Delaval qui est mon ami travaille à Leeds avec Marcelo Bielsa. Ce sont des gens que je côtoie en permanence. Le foot, c’est un jeu de réseau. Je ne l’ai pas cherché. La nature des relations fait que par chance, ça a l’air de matcher. Dans 15 jours, je reviens à Montpellier pour la dernière semaine de formation de notre promotion, j’ai la chance de côtoyer des gens qui sont dans le très haut niveau en France. C’est aussi simple que ça. Et on est en contact régulièrement avec Olivier Echouafni, avec Sonia Bompastor, avec Corinne Diacre, d’autant plus qu’elle est de Soyaux.

Quel regard portez-vous sur le déséquilibre en D1 féminine ?

Je vais me permettre de vous répondre sur les déséquilibres. Je me suis amusé à dire en début de saison qu’il y avait quasiment 4 niveaux dans ce niveau : Lyon et Paris, ceux qui jouaient la 3è-4è place, le ventre mou et la bagarre des 3 en bas. Le football féminin est en train de se développer terriblement. Il y a encore 4-5 ans, vous pouviez résister, et aujourd’hui c’est fini.

C’est un peu un virage que doit prendre l’ASJ Soyaux, c’est le club doyen, historique, ok, mais si aujourd’hui, vous n’allez pas chercher des joueuses expérimentées, vous allez tomber rapidement parce que les clubs se structurent. Ça va très vite, le niveau n’est plus le même. C’est compliqué d’exister dans ce milieu. Et ça va être de plus en plus compliqué. Quand on voit que Nantes et Saint-Étienne ne sont pas encore là mais qu’ils vont arriver très vite, que l’OM va revenir, que Nice est en train de se positionner, que des clubs comme Rennes veulent s’ouvrir rapidement. Il y a beaucoup de clubs garçons qui vont s’investir. Si on regarde le niveau, on remarque déjà que le football n’est plus du tout le même.

Quand on joue contre Lyon, Paris, Bordeaux, on sait que c’est quasiment mission impossible. Et ça, c’est compliqué.

Comment on gère, en tant qu’entraîneur, le fait de devoir vivre avec ces déséquilibres, c’est-à-dire de savoir qu’en étant coach de Soyaux, il y a des matchs qui sont à peu près ingagnables ?

C’est insupportable, c’est la vraie nouveauté. Parce que, dans ma carrière, j’ai plutôt eu la chance d’avoir des réussites et des victoires. C’est la première fois de ma vie où je dois faire face à ce genre de choses avec en prime un effectif que j’ai récupéré en cours de saison qui, pour moi, n’était pas fait pour se maintenir en D1, qui était relégable. On a réussi à le modifier. Se dire qu’on est dans une spirale négative, ne pas avoir les ressorts pour se maintenir, c’est compliqué. Comme vous le dites, quand on joue contre Lyon, Paris, Bordeaux, on sait que c’est quasiment mission impossible. Et ça, c’est compliqué.

Donc, c’est sur d’autres leviers sur lequel vous jouez. Vous essayez d’aller dans un rôle de formateur, de retarder, mais en tant que coach, c’est vrai que c’est une approche différente. Pour moi, c’est insupportable. Je n’ai jamais joué en me disant – et le football des garçons est différent en cela – que c’était écrit. Parce que les différences morphologiques suffisent à faire la différence. Lorsque vous jouez contre Cascarino ou Karchaoui, quand ça pousse, ça pousse et c’est fini. Il y a de vraies différences physiques qui prennent le dessus. Chez les garçons, c’est moins vrai, un coup est possible et on le voit en Coupe de France. Chez les filles, c’est quasiment impossible. Le seul exemple que j’ai en tête sur les 10 dernières années, c’est Dijon qui fait 0-0 contre Lyon en championnat, il y a 2 ans.

Vous évoquiez les arrivées au cours de la saison, quel est le niveau de professionnalisation d’un club comme Soyaux, notamment du point de vue du recrutement ?

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Kelly Gadea a été l’une des recrues de Laurent Mortel à Soyaux

Il y a tout le staff qui travaille, et ensuite, je fonctionne en direct avec le président. Il faut savoir que nous avons 25 contrats professionnels. Le club n’était pas professionnel, il est en train de se personnaliser. C’est ce qu’on a demandé. Maintenant, il y a les GPS, les applications, plus de vidéo, j’ai un staff complet, notre kiné, c’est la kiné de l’équipe de France. Il y a quand même des choses comme ça. Le club, certes, n’est pas affilié à un club professionnel, mais c’est un des seuls clubs purement féminins qui existent en France et on est en train de le professionnaliser. Aujourd’hui, il est géré par une société sous la gestion d’une association, on n’a que des joueuses professionnelles. Après, je gère avec le président, avec des agents, c’est le milieu. En ce moment (en juin dernier, ndlr), si vous voyiez mon téléphone, le nombre de mails, de vidéos qu’on reçoit, vous seriez surpris. Il y a un vrai réseau derrière, il faut travailler, ne pas se tromper.

J’ai eu la chance de faire venir 6 joueuses, notamment Kelly Gadea qui a été internationale française qui est venue parce que Sandie Toletti, dès qu’elle a su que je partais là-bas lui a dit de me rejoindre. C’est le réseau. Aussi celui que j’entretiens au Canada parce que j’y ai quelques amis et confrères universitaires. Donc dès qu’il y a une joueuse qui nous semble intéressante… C’est comme ça que j’ai fait venir Vanessa Grégoire. Par contre, je vis sous décalage horaire.

On est donc sur un club où l’entraîneur est sollicité sur de nombreux aspects ?

Ici, c’est entraîneur-manager. Mais j’ai la chance d’avoir construit un staff avec des gens qui sont autour de moi, j’ai fait venir des gens avec qui j’ai envie de travailler. Aujourd’hui, je suis Montpelliérain donc j’ai fait venir deux Montpelliérains à mes côtés. Dans ce milieu, vous apprenez à ne pas devoir vous retourner, vous arrivez avec des gens qui avancent avec vous, il faut avancer, vous n’avez pas le temps parce que vous êtes jugés sur les résultats. La plus belle chose que l’on pouvait faire cette saison, c’était de se maintenir. Dans ce contexte, c’est la plus belle des choses.

On n’a pas forcément des dirigeants capables de sortir du cadre, de faire une entorse.

D’un point de vue moins personnelle, mais pour rester sur le football féminin, qu’avez-vous pensé du traitement de la D2 cette saison ?

C’est extrêmement difficile de vous répondre sans manier la langue de bois. On va terminer 10èmes, donc on n’est pas dépendantes des décisions de la Fédération, donc je me sens d’autant plus libre de vous répondre. On a eu la chance, en D1, de pouvoir faire notre travail. Maintenant, je me mets à la place à la fois des équipes qui jouent leur maintien et de celles de D2 qui ont travaillé sans savoir. Pour moi, c’est impossible de s’entraîner sans savoir si on va jouer, si la compétition va reprendre. Il n’y aura pas de juste décision, il y aura forcément des équipes qui seront lésées. Saint-Étienne s’estimait lésé l’an passé quand c’est Le Havre qui est monté sur un savant calcul.

Mais c’est le problème de la France et de ses décisions. On s’enferme et on est parfois incapable de se libérer de certaines choses, on veut être dans les procédures et on a du mal à s’en défaire. Après, il y a un autre aspect, qu’il ne faut pas négliger. Si deux mois avant on vous annonce qu’il n’y a pas de descentes, comment vous faites pour les médias pour leur dire « Merci de nous acheter les matchs, mais sachez que ça ne compte pas. » Il faut aussi être respectueux des financeurs. C’est difficile de se positionner parce qu’il faudrait prendre le projet dans son ensemble.

Après, j’ai envie de vous dire qu’avec le drame humain qu’on a vécu, le foot, ce n’est que du foot. C’est peut-être un peu dur, je vous dis peut-être ça parce qu’on est 10èmes et maintenues, mais le foot ne reste que du foot. Il y a peut-être des enjeux mais les enjeux du foot féminin ne sont pas ceux du foot masculin, on a assez de gens dans nos entourages qui ont été touchés par cette maladie, on se doit d’avoir un peu plus de réserve.
Que les instances mettent un championnat à 14 ou 16, pour une fois, ça ne m’aurait pas posé de problème. Mais on n’a pas forcément des dirigeants capables de sortir du cadre, de faire une entorse.


Morgan Chaumier

Crédit photo : DR / 34 super héros – CC