FOOTBALL – Laurent Mortel : « En France, on aime les noms ronflants » (1/2)

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Au début du mois de juin dernier, alors que la saison de D1 féminine se terminait, nous nous entretenions avec l’Amiénois Laurent Mortel, alors coach de l’ASJ Soyaux, pour évoquer son parcours, son travail dans ce nouveau challenge et le foot féminin dans son ensemble.

Bonjour, comment évolue-t-on de débuts à l’US Camon, en DH, à maintenant l’ASJ Soyaux, en D1 féminine ? C’était une ambition dès le départ ?

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Absolument pas. C’est une évolution et des choix de carrière en fonction des gens que vous rencontrez et de ce qu’il se passe. J’étais essentiellement dans le football masculin, notamment en CFA2 puisque j’y étais avec Ailly-sur-Somme, c’est moi qui ai fait monter le club, je l’ai maintenu et on avait même joué la montée en CFA (en 2015-16, Ailly-sur-Somme était 5ème à seulement 4 points de la montée à 6 journées de la fin, ndlr). Parallèlement, je suis universitaire, donc j’étais au département entraînement de l’UFR Staps d’Amiens.

Et, la passerelle, la transition est là, j’ai créé le pôle universitaire d’entraînement féminin. C’était un projet où la question qui se posait était « comment rassembler de jeunes joueuses qui ne pouvaient s’entraîner puisqu’elles venaient étudier ? » Donc on a créé ce centre en partenariat avec la Ligue de Picardie et Thierry Claeys. De là, on part sur du football universitaire. On fait plusieurs fois aux championnats de France et vice-championnes de France à deux reprises avec pourtant un bassin footballistique moindre.

De là, mon profil intéresse l’université de Montpellier. Je suis recruté à l’université de Montpellier pour travailler dans le département entraînement et tout ce qui est football. Je continue à faire ce que je fais et il y a le MHSC qui me propose d’intégrer et de structurer le pôle Élite – le centre de formation féminin du club de Montpellier. Ce que je fais. Je suis en lien tous les jours avec la D1 puisqu’on s’entraîne en même temps. J’interviens même sur les séances de la D1 avec une équipe qui termine 2ème et participe à la Ligue des Champions, avec Jean-Louis Saez. En parallèle, en foot universitaire, on est championnes de France avec Montpellier, on va aux championnats d’Europe et on est championnes d’Europe avec l’université de Montpellier.

mhsc feminin 2016 2017
Laurent Mortel a dirigé le Pôle Elite Féminin du Montpellier HSC pendant deux ans

De là, du fait d’être champion d’Europe universitaire et de mon travail à Montpellier, on me sollicite pour prendre l’équipe nationale d’Haïti avec laquelle on se qualifie pour la phase finale de la CONCACAF, à 8, pour la qualification olympique. On fait 1-1 contre le Canada (en match amical de préparation, ndlr), on perd 4-0 contre les États-Unis, en n’ayant été mené que 1-0 à la pause, jusqu’à l’entrée de Megan Rapinoe (entrante à la 62′, le deuxième but est inscrit à la 67′, ndlr). Finalement, on termine 3èmes sur 4 de la poule, donc on n’est pas qualifiées pour les Jeux Olympiques. Mais la Fédération me propose de travailler avec les U-20 pour les qualifications pour la Coupe du Monde et on est éliminées en finale par les championnes de la CONCACAF en titre, le Mexique, aux tirs au but.

Ensuite, il y a le coach de l’ASJ Soyaux en cours de saison. Alors que je suis toujours à l’université, mon nom est proposé par des personnes du milieu footballistique. On a terminé la saison, on a pris un bateau à la dérive, on a structuré et aujourd’hui on se maintient. Et ce n’était pas gagné à la base quand on voit les difficultés qu’avait le club. On est passé sur un virage avec un nouvel actionnaire, une nouvelle équipe, un nouveau staff.

Le fait d’avoir eu cette évolution progressive fait que ce n’était pas particulièrement un cap de passé en arrivant à Soyaux mais plus une étape ?

Oui, c’est une étape. Et je vais taire les sollicitations que j’ai eues mais d’autres sélections m’ont contacté. Pour l’instant, je ne donnerai pas suite. Sur le plan français, il y a aussi quelques sollicitations, on se pose la question (Laurent Mortel a, depuis cette interview, quitté l’ASJ Soyaux, ndlr).

Malheureusement, souvent, les projets reposent sur les hommes, mais il faut les structurer, les pérenniser.

Quand vous lancez le pôle universitaire d’entraînement féminin, c’était une volonté de votre part de vous impliquer dans le foot féminin ou parce qu’on vous a sollicité ?

Rien n’était fait sur le plan du territoire. J’avais une sensibilité quand même puisque ma petite sœur était en équipe de France féminine à l’époque, mon père avait entraîné Compiègne en D1 féminine. Moi, j’étais toujours resté en dehors de tout ce milieu-là. Et c’est vrai qu’à l’université, je gérais les garçons et il n’y avait rien pour les filles. Je crois que je suis, en tout cas on me décrit souvent comme un homme de projets, ce n’était pas fait, on a rassemblé des énergies, on s’est mis autour d’une table avec Thierry Claeys de la Ligue et on a fait, je crois, un travail exceptionnel là-dessus. Ça a été facile de travailler avec la Ligue et je pense que c’était dans l’intérêt des joueuses et du football. Malheureusement, souvent, les projets reposent sur les hommes, mais il faut les structurer, les pérenniser.

Qu’en est-il de votre situation avec la sélection haïtienne ?

Mon contrat se termine le 31 juillet (2021, son contrat est donc désormais clos, ndlr). Je devrais me positionner entre le fait de rester dans le championnat français ou poursuivre avec la sélection haïtienne, mais il semblerait que mon avenir soit davantage en France qu’à l’étranger.

On ne peut pas être entraîneur de deux équipes. Ce n’est pas possible.

Comment cela s’est passé pour travailler de front à Soyaux et sur la sélection haïtienne ?

Avec le covid, j’ai continué à travailler sur l’analyse des vidéos, j’ai continué mon travail d’observation, notamment parce que la plupart des joueuses haïtiennes jouent en France, mais comme tout était à l’arrêt, c’est ce qui m’a permis de mener de front les différents projets. On ne peut pas être entraîneur de deux équipes. Ce n’est pas possible. Ça dépend comment vous managez. Mais pour moi, la place du groupe, de l’unité est forte. Je ne peux pas porter ce discours-là et être l’entraîneur de deux équipes. Finalement, ça c’est bien goupillé, malheureusement, avec le Covid. C’est pour ça que si je repars sur le projet d’être entraîneur en D1 ici, je serai l’entraîneur d’une seule équipe.

Comment jugeriez-vous le niveau d’exigence d’être entraîneur n°1 en D1 féminine par rapport à ce que vous avez connu auparavant ?

Sincèrement, je n’ai aucun souci à travailler en D1 en termes de management, de compétences. Je pense que quand vous avez côtoyé la CFA2-CFA, vous n’avez aucun problème à travailler en D1 féminine. Je pense que le niveau CFA2 est supérieur au niveau de la D1 féminine à part l’OL et le PSG. Mais pour le reste, ça suffit. Après, ce n’est pas la même gestion, dans le management, dans l’approche. C’est plus compliqué, il y a plus d’exigence dans le niveau de la CFA2-CFA qu’en D1 féminine.

Après, il y a pas mal de jeunes coachs assez pédagogues qui sortent, mais je sais qu’en France, on a encore un peu de mal avec ça : si vous n’êtes pas joueur pro, vous avez un handicap. C’est un peu perturbant. Les résultats sont d’ailleurs particulièrement probants quand on voit les derniers coachs qui sont des anciens pros… Mais en France, on aime les noms ronflants, on a du mal à se lancer avec quelqu’un qui pourrait être compétent.

Je trouve les médias très bienveillants dans le foot féminin contrairement à ce qui se passe dans le foot masculin. La pression n’est pas la même du tout.

Et du point de vue des sollicitations, on imagine en revanche que c’est différent de la CFA2 ?

Oui, oui. Cela s’est fait de manière progressive, par étapes. La sélection m’a beaucoup aidée sur les interviews. On apprend énormément, on n’est plus le même. Les sollicitations sont quotidiennes avec la presse, avec Canal+. C’est aussi très agréable. Je trouve les médias très bienveillants dans le foot féminin contrairement à ce qui se passe dans le foot masculin. La pression n’est pas la même du tout.


Morgan Chaumier

Crédit photo : DR / Sanguinez – CC