CYCLISME – Lionel Herbet : « J’ai eu la chance de rencontrer de grands champions »

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Lionel Herbet, ancien journaliste emblématique du Courrier Picard, a toujours la passion du sport. A ce titre, il sort en ce mois de février « Rencontres au royaume du cyclisme », un livre qui revient sur l’histoire du cyclisme vu par le prisme de sa propre carrière journalistique.

Bonjour Lionel, entrons tout de suite dans le vif du sujet, est-ce que vous pouvez nous expliquer le sujet de ce livre et la façon dont il a été conçu ?

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Tout est parti d’un article paru dans le Courrier Picard, dans le courrier des lecteurs sur un vieux supporter de l’ASC qui rappelait des souvenirs du Stade Moulonguet. J’ai aussi beaucoup de souvenirs du Stade Moulonguet, mais je n’ai pas voulu faire comme lui, donc je me suis dis que mes souvenirs, ce serait ceux du cyclisme. Donc j’ai fait, aussi, dans le courrier des lecteurs, une vingtaine de flashs sur les bons moments que j’avais vécu au Courrier Picard dans le cyclisme. Et puis, un ami qui édite des livres m’a dit : « Lionel, il faut que tu en fasses un bouquin. » Je me suis dit, d’accord, je me suis attelé à la tâche à partir de septembre et j’ai réuni environ une centaine de moments clefs.

P1080483 Raymond Poulidor

Je ne rappelle pas la carrière des coureurs mais seulement des moments où je les ai approchés. Je prends l’exemple d’un Raymond Poulidor. J’ai eu la chance de le rencontrer quand il est venu à Picquigny lors des Boucles du canton de Picquigny. J’avais été photographié avec lui au moment où il était venu participer au Tour de Picardie en 1962, ça ne date pas d’hier, à l’époque, ce n’était pas encore « Poupou ». Donc, on retrouve Poulidor, Merckx, Bernard Hinault, dans des contextes bien différents.

Et puis, j’ai aussi insisté sur des cas qui avaient remué le cyclisme à une époque. Par exemple, la sécurité dans le peloton. J’avais une fois assisté au Tour de l’Oise au cours duquel il y avait eu un grave accident, une voiture avait percuté le peloton. Donc je me suis dit qu’il fallait que j’évoque ce sujet, la sécurité.

J’évoque des moments où j’avais rencontré des commissaires de courses, des directeurs sportifs et puis, évidemment des coureurs. J’ai travaillé beaucoup avec ma mémoire, mais aussi avec mes archives personnelles. Puisqu’à l’époque, pendant au moins 12 ans, au Courrier Picard, on faisait une page quotidienne sur le cyclisme qui s’appelait Grand Plateau. J’en étais le rédacteur puisque j’étais considéré comme le spécialiste du cyclisme, ce qui me permettait d’avoir des relations dans ce milieu-là.

Le cyclisme est un sport difficile à couvrir. Pour suivre un coureur par exemple. On peut avoir un coureur picard mais qui ne court pas en Picardie. L’exemple, aujourd’hui, c’est Corentin Ermenault. Il y a, à l’inverse, des étrangers, qui viennent courir sous le maillot des équipes locales. Il y a eu une époque à l’ASC où il y a eu des bons coureurs. D’un point de vue médiatique, il faut parler de ces garçons. Et puis, le cyclisme, ce n’est pas comme le football, on est dépendant, quand on est journaliste, d’un chauffeur, pour suivre une course. Cela fait des frais. J’ai eu la chance, au Courrier Picard, que l’on m’ait laissé un peu libre. Je suivais régulièrement le Tour de l’Oise, le Tour de la Somme, les Quatre Jours de Dunkerque, le Tour de France quand il passait dans la région.

En sachant que pour mon départ en retraite, j’ai eu droit au Tour de France intégralement. Dans le service presse du Tour de France. J’étais invité par Jean-Marie Leblanc qui m’avait dit qu’on n’allait pas me laisser partir en retraite sans m’offrir ce cadeau, le Tour de France 2002. Je me suis retrouvé dans le service communication du Tour de France, chargé de m’occuper des interviews de Bernard Hinault. C’est là que j’ai appris à le connaître. Par la suite, il est venu deux fois à Amiens donner le coup d’envoi d’un match à la Licorne grâce à moi.

Avoir écrit à Fausto Coppi et que celui-ci me réponde, dans mon petit village, à Picquigny, c’est, pour moi, extraordinaire.

Louison Bobet, par exemple, je suis photographié avec lui mais je n’ai eu l’occasion de discuter avec lui parce que j’étais petit, mais être photographié avec lui, c’était pour moi un grand moment. Avoir écrit à Fausto Coppi et que celui-ci me réponde, dans mon petit village, à Picquigny, c’est, pour moi, extraordinaire. Et le cyclisme est devenu l’un de mes sports préférés avec la boxe et le football, que j’ai également beaucoup couvert. J’ai eu la chance, franchement, de rencontrer de grands champions. Aujourd’hui, la Picardie est très pauvre, à part Arnaud Démare, il n’y a plus grand monde puisque Corentin Ermenault est parti, malheureusement.

Est-ce que ce départ n’est pas, justement, significatif de cet affaiblissement du cyclisme picard qui n’a pas réussi à le retenir ?

Ah, oui. Il n’y a plus de clubs. Je me souviens qu’à l’époque, il y avait deux grands clubs dans l’Oise, Liancourt et Nogent. Ce dernier existe toujours mais Liancourt a disparu. Dans l’Aisne, il y avait Saint-Quentin, le Team Saleine… Il y avait plein d’équipe. Il y a eu une année où il y a eu cinq Picards au départ du Tour d’Italie. C’était extraordinaire. Aujourd’hui, c’est fini. A part Arnaud Démare, pour lequel j’ai beaucoup d’amitié et d’estime. Mais le cyclisme picard est un peu à l’image du cyclisme en général. Il y a moins de licenciés. Il y a beaucoup de gens qui font du vélo mais qui ne participent pas à des épreuves. L’UFOLEP a beaucoup de participants, mais, bon…

Ce livre est un bouquin de souvenir parce que ça me fait plaisir de me replonger dans mes souvenirs.

Ce livre est un bouquin de souvenirs parce que ça me fait plaisir de me replonger dans mes souvenirs, même si ça m’a demandé du travail. J’espère qu’il va être apprécié par les gens qui aiment le vélo.

Quand sera-t-il disponible ?

A la fin du mois de février. Mais je vais tout faire que le jour de l’Assemblée Générale du Comité Départemental Olympique, le jeudi 27 février, mes collègues des autres disciplines puissent l’avoir. Et, ensuite, il sera en vente. Je rappelle que ce n’est pas pour moi, je ne gagne rien sur la vente de ce livre. C’est pour les Racines Calcéennes qui est une association reconnue d’utilité publique, présidé par M. André Sehet.

Votre moteur, finalement, c’est avant tout la passion ?

Oui, oui. Et je ne désespère pas de faire un livre sur la boxe. J’ai écrit beaucoup sur la boxe, j’aimerais que mon ami Jérôme Fouache relie tous ces articles dans un bouquin. J’ai eu la chance de rencontrer quelques grands champions comme Christophe Tiozzo. Mais d’abord, le vélo.

Vous parliez de votre rapport au vélo, d’où est-il issu ?

Tout est parti de Pierre Pardoën. J’habitais Picquigny, lui habitait Belloy-sur-Somme et c’est le premier sportif que j’ai interrogé, j’étais encore au lycée. Et puis, après, c’est devenu mon ami. J’allais régulièrement le voir, notamment à Rivery où il était carrossier. Pierre est décédé au mois de juin dernier. Cela m’a fait mal au cœur. C’était le premier coureur picard à avoir terminé le Tour de France après guerre (en 1952, ndlr). Quand il est revenu à Amiens, la place de la gare était noire de monde, il y avait plus de monde que pour la victoire des Amiénois quand ils sont monté en L1. Mais c’est une autre époque. La guerre était finie depuis quelques années, les gens avaient besoin de s’identifier à des sportifs connus. Les cyclistes en faisaient partie, comme les boxeurs, puisqu’il y avait Jacques Bataille.

J’en profite pour dire que je suis très content que l’on ait enfin la salle Jacques-Bataille à La Veillère. Je change de sujet, mais il était copain avec Pierre Pardoën, il était de la même génération. Il avait été champion d’Europe des poids plumes (en 1949, ndlr), il avait gagné les Golden Gloves. Aujourd’hui, il y a des jeunes qui veulent exhiber un palmarès supérieur, pour moi, ce n’est pas vrai, le plus grand, c’est Jacques Bataille, à une époque où il n’y avait qu’un champion de France, d’Europe ou du Monde.

Pour en revenir au cyclisme, j’en ai fait une année avec un vélo vendu par Pierre Pardoën. J’ai fait une dizaine de courses avant que je ne parte à l’armée. Mes résultats n’étaient pas bons parce que je faisais du football en même temps alors que je n’étais pas assez courageux, physiquement parlant. Mais ça ne m’a pas enlevé la passion du sport cycliste puisque dès que je suis rentré du service militaire, j’ai eu l’occasion de traiter le cyclisme. Parce qu’il y avait beaucoup de courses à Amiens.

Ce doit aussi être quelque chose que vous déplorez, cette baisse du nombre de courses ?

Bien sur. En début de saison, il y avait le Prix Devred, le Prix La Ruche. Les grandes entreprises finançaient les épreuves cyclistes. Il y avait des courses comme cela à Amiens, sans parler de celles qui avaient lieu dans les villages. Dans une saison qui allait de mars à octobre, je couvrais une cinquantaine de courses. Avec des coureurs importants.

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Par exemple, en 1992, sur le Prix d’Allery, à une époque où il n’y avait pas les réseaux sociaux, Philippe Gaumont, qui était le grand espoir du moment, vient me voir et me dit : « Lionel, je vais aux Jeux Olympiques de Barcelone. » Je ne le croyais pas. En fait, Eddy Seigneur ne voulait plus y aller, il voulait passer pro, ce qui est en effet arrivé, chez Z. Cela a permis, effectivement, à Philippe Gaumont de faire les Jeux de 1992 à Barcelone d’où il a ramené une médaille de bronze. Après, Philippe est devenu un immense champion. Avec du recul, je dirais qu’il avait même plus de classe que Philippe Ermenault. Le fait qu’il ait ensuite pris une voie qui n’était pas la bonne, c’est dommage.

Est-ce que toutes ces diminutions (du nombre de licenciés, de course, de résultats notables), notamment en Picardie, n’est pas aussi corrélée à une baisse du niveau du cyclisme français en général ? Même s’il y a beaucoup de bons coureurs français, nous n’avons plus de Bernard Hinault, par exemple.

Oui, on me posait la question : « Est-ce que tu vois un Français gagner le Tour de France ? » Non, non. Je vois plus un Français gagner Paris-Roubaix, mais le Tour de France, non. Même Julian Alaphilippe, que j’adore, il va pouvoir tenir les 3/4 du Tour de France et avoir un jour sans. Or, pour gagner le Tour de France, il faut être très régulier. J’espère que Thibaut Pinot va faire un grand Tour de France. Mais j’ai peur que son mental ne soit pas au niveau. Parce qu’en face, il y a les Colombiens, Carapaz, Roglic, Froome qui n’est pas fini. Et il y aura sûrement encore une révélation.

Il fut un temps où le cyclisme se résumait à quelques nations européennes, maintenant, c’est fini. Et je trouve que c’est bien.

On a beaucoup de coureurs pros en France qui se débrouillent bien. Je suis content de voir Nacer Bouhanni retrouver la victoire sur une étape du Tour d’Arabie (il a récidivé sur une étape du Tour de Provence depuis notre interview, ndlr), lui qui a changé d’équipe cet hiver pour aller chez Arkéa. Il fut un temps où le cyclisme se résumait à quelques nations européennes, maintenant, c’est fini. Et je trouve que c’est bien. Peut-être qu’un Français gagnera le Tour de France, mais je n’y crois pas. En tout cas, le jour où cela arrivera, celui qui y arrivera deviendra une idole.

Justement, comment vous l’expliquez cette aura du Tour de France ?

Parce que cela dure depuis un siècle, cela se déroule en juillet, pendant la période des vacances, il fait beau, les gens font 50km, vont se mettre au bord de la route et pique-niquent. C’est le cyclisme tel qu’il a toujours existé. Par contre, le public est toujours aussi conséquent mais les gens sont moins indulgents qu’avant. C’est la société actuelle, on ne respecte plus les champions comme avant. Ceci dit, les champions devraient aussi se mettre dans la tête qu’il ne faut pas qu’ils aillent au devant du public avec leurs lunettes, etc. qui font qu’on ne reconnaît pas leur visage. Je sais que Marc Madiot a essayé de changer les choses mais ce n’est pas facile.

Est-ce que vous seriez d’accord si je vous disais qu’au delà d’un événement sportif, c’est un événement culturel ?

Bien sur. Ça dépasse largement le cadre sportif. Il suffit de voir le nombre de gens qui viennent le voir, le nombre de gens qui se bousculent dans le village départ alors même que les coureurs n’y viennent plus.

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Au passage, j’ai un souvenir de 2002, Roger de Vlaeminck, ancien vainqueur de Paris-Roubaix, n’avait pas de place pour entrer dans le village départ. J’avais tout fait pour qu’il rentre. Je me disais qu’on allait quand même pas laissé Roger de Vlaeminck à la porte. Et il est rentré. Mais c’est très sévère.

Ce Tour 2002 reste un de mes meilleurs souvenirs. Jamais je n’aurais pensé être comme ça, dans le service du Tour, voir tous les matins Bernard Hinault, il y avait aussi Jean-Claude Killy. J’étais rhabillé aux couleurs du Tour, on descendait dans les plus beaux hôtels. Et puis, c’est le début de l’utilisation des GPS, ça améliorait nettement la situation.

Est-ce que cette anecdote sur Roger de Vlaeminck n’est pas significative de sports qui accordent trop peu d’importance à la mémoire, à leur histoire ?

C’est comme ici au foot. J’ai vu une fois Alain Giresse se faire refouler parce que le stadier ne connaissait pas Alain Giresse. Le stadier, il fait son boulot à l’entrée, s’il ne le connaît pas et que la personnalité n’est pas invitée…

Ce côté témoignage de votre livre, c’est un moyen de garder vive cette mémoire du sport et de ses champions, aussi ?

J’ai déjà la chance de ne pas la perdre ! Sinon, c’est pour cela que le livre sera édité au profit des Racine Calcéennes. C’est une association qui retrace des événements, pas que sportifs, d’ailleurs. Je sais qu’André Sehet a fait un livre sur un crime qui a eu lieu il y a environ 60 ans. Et l’autre jour, il a fait une conférence à la salle Dewailly, il y avait plus de 120 personnes présentes pour un fait divers qui s’est déroulé il y a 60 ans ! Cela démontre que l’histoire et le patrimoine remuent encore les consciences.



Propos recueillis par Morgan Chaumier

Crédits photos : Léandre Leber – Gazettesports / Images d’illustration libres de droit