FOOTBALL – Jonathan Tinhan : « Une aventure humaine et sportive magnifique »
À six mois de la fin de son contrat, Jonathan Tinhan a décidé de quitter la Picardie pour Troyes. Meilleur buteur de l’Amiens SC sur la phase aller (8 buts en championnat), l’avant-centre revient sur les coulisses de son départ et les raisons qui l’ont poussé à se lancer dans un nouveau défi auprès de Jean-Louis Garcia. Entretien.
Jonathan, vous venez de quitter l’Amiens SC pour l’ESTAC, tout cela s’est accéléré en l’espace de quelques jours…
Tout à fait, les choses ont été très vite. J’ai eu une proposition de Troyes lundi dernier, il y a eu des négociations dans cette même journée. J’ai donné mon accord mardi et jeudi soir j’étais déjà parti. Les premiers contacts ont été noués entre Noël et le Jour de l’an. Cependant, il n’y avait rien d’acté, je parlais plus de prise d’informations. J’avais même dit aux dirigeants de Troyes que si je reprenais l’entraînement avec l’Amiens SC, je terminerais la saison avec eux. Finalement, les choses se sont déroulées autrement alors que je ne m’attendais plus à partir.
Votre première volonté était pourtant de prolonger avec l’Amiens SC…
J’avais envie de m’inscrire dans la durée avec ce club. Tout se passait très bien, mon entourage et moi nous nous sentions bien à Amiens, je n’avais aucune raison de partir et je souhaitais prolonger à l’issue de la saison de la remontée. Le club m’a alors demandé d’attendre le mois d’octobre, les dirigeants sont finalement revenus vers moi à la fin octobre afin de me faire une proposition qui aurait pu me convaincre mais mon début de saison avait changé la donne. Nous avons alors formulé une contre-proposition qui a été refusée et les négociations ont définitivement pris fin à ce moment-là.
Vous étiez déçu que le club ne réponde pas favorablement à votre volonté de prolonger l’aventure dès l’été dernier ? Cela a-t-il été vécu comme un manque de confiance à votre égard ?
J’ai été surpris de leur décision de reporter les discussions au mois d’octobre. J’ai accepté le challenge tout en prévenant le club que si je faisais un bon début de saison que les chiffres ne seraient forcément pas les mêmes. Malgré cela, la proposition formulée en octobre n’était pas convaincante.
« J’ai hésité à partir dès cet hiver »
Le club n’a jamais donné le sentiment de vouloir faire l’effort pour vous prolonger, vous n’étiez pas un dossier prioritaire ?
Concrètement, non. Je suis allé vers eux cet été et ils m’ont demandé de patienter dans un premier temps. Par la suite, les négociations ont été très rapides et n’ont pas débouché sur la possibilité de parvenir à un accord. À partir de là, nous avons plus échangé sur la possibilité d’un transfert que sur une prolongation de notre aventure commune.
De l’extérieur, beaucoup d’observateurs ont du mal à comprendre que les négociations se soient cantonnées à une proposition du club et à une contre-proposition de la part de votre agent alors que vous étiez le meilleur buteur de l’Amiens SC…
Je peux comprendre que cela surprend beaucoup de monde. Ensuite, c’est la politique du club, il faut savoir la respecter. C’est surprenant parce que très peu de clubs abordent les choses de cette manière, maintenant je respecte parfaitement leur choix.
Partir en cours de saison n’est jamais simple, avez-vous hésité à sauter le pas dès cet hiver ?
J’ai réellement hésité et c’est aussi pour cette raison que je ne pensais pas partir cet hiver, si je reprenais l’entraînement avec l’Amiens SC. Je sais que ce n’est jamais évident de faire sa place dans un groupe en cours de saison. Maintenant, j’ai un projet sur la durée à Troyes. La mentalité du groupe est vraiment excellente, c’est désormais à moi de réussir à bien intégrer et ainsi rentrer dans la cohésion d’équipe.
Un projet de reconversion professionnelle est déjà inclus dans votre contrat ?
Pas encore. Je vais d’abord terminer ma formation et obtenir mes diplômes et nous verrons par la suite. Mes études ont été évoquées et ils ont accepté que je puisse les poursuivre, l’essentiel était là pour le moment.
« Je laisse derrière moi de très bons amis »
Si vous ne partiez pas cet hiver, votre départ était déjà acté pour l’été prochain ?
Je ne sais pas, un retournement de situation était peut-être possible. Après, si le club en était resté là dans les négociations, il est clair que je serais parti libre l’été prochain. Une issue positive aurait pu être favorable s’ils étaient revenus vers moi avec une offre un peu plus intéressante. Je ne m’étais pas braqué sur l’idée de partir à tout prix.
Pour autant, la tentation de retrouver la Ligue 1 avec l’ESTAC a également dû peser dans la balance…
Dans tous les cas, je ne serais pas parti dans un club moins bien classé que l’Amiens SC et qui avait des chances inférieures de réaliser une belle saison. J’y ai donc forcément pensé, c’était la possibilité de combiner ambition personnelle et ambition collective. Nous avons les cartes en main pour jouer le haut de tableau et j’espère que nous allons y arriver.
Le club s’est bien repositionné, l’enjeu est-il de remonter dès cette saison ?
Le projet est sur le long terme. Il n’y a pas le feu mais c’est sûr que plus tôt on y arrivera mieux ce sera pour l’ensemble du club. J’ai signé deux ans et demi afin de m’inscrire sur un projet de longue durée, c’était également un élément important dans ma réflexion.
Quand les discussions se sont accélérées, vous en avez un peu discuté avec vos anciens coéquipiers amiénois ?
Exactement, j’ai notamment échangé avec Thomas (ndlr : Monconduit), avec qui j’étais le plus proche au sein et en dehors du vestiaire. Je lui ai fait part de l’avancement des discussions à chaque message et appel que je pouvais recevoir. Il a suivi l’affaire de très près, il était déçu que je parte. Je n’ai rien caché à mes anciens coéquipiers, je leur ai très vite dit que j’étais en contact avec Troyes et qu’il était fort probable que je quitte le club. Je laisse derrière de très bons amis.
« Le Havre ? Un match qui m’a touché négativement »
Votre temps de jeu a diminué à partir de la mi-novembre, cela a-t-il conforté votre certitude que le moment était venu de se lancer dans un nouveau projet ?
J’ai légitimement commencé à penser à mon cas personnel. J’étais en fin de contrat, je commençais à jouer moins malgré des performances assez satisfaisantes. À six mois de la fin du terme, cela devenait dangereux si je jouais aussi peu en deuxième partie de saison. Cet élément est donc rentré en compte dans ma réflexion. J’ai alors eu la possibilité de repartir sur un nouveau projet à long terme qui assurait mon avenir. Si j’avais eu deux ans de contrat avec Amiens, je ne me serai pas posé la question cet hiver, même avec un temps de jeu devenu plus irrégulier.
Christophe Pelissier vous a-t-il expliqué les raisons de cette réduction de votre temps de jeu ?
Je ne remettrai jamais en cause les choix de l’entraîneur avant un match. Les choix sont toujours difficiles. La question n’est pas de savoir si je commence ou bien si je suis remplaçant au coup d’envoi. À l’inverse, j’ai demandé des explications après le match contre Le Havre, où je n’ai joué que neuf minutes. Malheureusement, je n’en ai pas eu de la journée à l’issue de la rencontre. C’est un peu le match qui m’a touché négativement. Je suis quelqu’un de très ouvert, j’ai besoin que l’on me parle et que l’on m’explique les choses afin de les accepter. Et si on ne me parle pas, j’ai tendance à me braquer. Je n’ai pas eu l’échange que je souhaitais avoir, j’ai demandé des précisions que je n’ai jamais pu obtenir. C’est comme ça.
Comment jugez-vous la concurrence avec Aboubakar Kamara, avec qui vous avez évolué pendant un an ?
L’entraîneur a considéré au début de la saison qu’il ne pouvait faire confiance qu’à deux attaquants. Il ne souhaitait donc pas utiliser les deux au même moment. Il souhaitait toujours en avoir un des deux qui sortait du banc. Avec Abou (ndlr : Aboubakar Kamara), nous aurions aimé jouer davantage ensemble mais nous avons toujours respecté et compris les choix de l’entraîneur au sujet de notre possible association. La concurrence a toujours été très saine, nous nous sommes toujours tirés vers le haut. Il n’y a jamais eu aucun souci entre nous.
Comment expliquez-vous ce retour au premier plan avec l’Amiens SC alors que vous étiez à deux doigts d’arrêter votre carrière à l’été 2015 ?
Honnêtement, le choix de reprendre mes études a été d’un grand secours. Cela m’a permis d’appréhender le football avec un tout autre état d’esprit, avec la volonté de prendre avant tout du plaisir. J’ai également rencontré des mecs extraordinaires qui m’ont permis de revenir à un bon niveau. Sans eux, je n’aurais rien fait de tout cela.
« Il y a un déchirement compréhensible »
Vous êtes tombé en quelque sorte dans un projet de revanchard à l’Amiens SC…
C’était la volonté des dirigeants de recruter des joueurs qui avaient des choses à prouver et qui souhaitaient se relancer. Le pari a été gagnant puisque nous avons réussi notre mission, à savoir remonter le club en Ligue 2. Nous avions la mentalité qui fallait pour ne rien lâcher, même dans les moments les plus difficiles avant cette série en fin de saison.
Aujourd’hui, vous arrivez à Troyes avec un autre statut et une certaine pression, le statut d’un joueur qui a inscrit huit buts sur la phase aller…
Je n’ai plus rien à prouver, je joue au football pour m’amuser. Je suis venu à Troyes pour me fondre dans un projet collectif, je ne considère pas devoir défendre le moindre statut. Je souhaite donner une possibilité de plus à mon nouvel entraîneur afin de l’aider à atteindre l’objectif commun du club.
Vous vous êtes préparé à ne pas être forcément titulaire d’entrée à Troyes ?
Je ne suis pas venu à Troyes pour revendiquer du temps de jeu, sinon je ne serai pas venu ici. Je suis là pour faire partie du projet et apporter une solution en plus. S’il faut faire 19 matches en qualité de remplaçant, il n’y a pas le moindre souci, je le ferai.
Certains supporters d’Amiens ne comprennent pas votre départ, aussi bien le choix du club de vous laisser partir que le votre d’avoir signé à Troyes. Qu’avez-vous à leur répondre ?
Je comprends leur déception. J’avais au moins autant d’affection à leur égard qu’ils ne pouvaient en avoir pour moi. Il y a donc un déchirement compréhensible. Mais il est important de rappeler que je ne suis pas le seul décisionnaire dans ce dossier. Il fallait trouver une solution à même de satisfaire les trois parties, je pense que c’est finalement le cas.
« Mon passage au club restera gravé au plus profond de moi-même »
Quel souvenir allez-vous garder de votre passage à l’Amiens SC ?
L’ensemble des moments vécus. Du premier entraînement avant notre saison en National, en passant par notre série de douze matches sans défaite, jusqu’à la montée finale le 3 juin. Ce fût une saison extraordinaire. Je ne retiens que du positif, c’était une aventure humaine et sportive magnifique. Je ne suis pas sûr d’avoir la chance d’en vivre une autre aussi intense. Mon passage au club restera gravé au plus profond de moi-même.
Vous retenez plus cette renaissance à l’Amiens SC que votre titre de champion de France avec Montpellier ?
Je retiens tout. Je pense qu’il faut savoir appréhender une carrière dans sa globalité. Il faut savoir profiter des moments positifs mais ne pas oublier les moments négatifs qui font progresser le joueur et grandir l’homme. Je n’oublie donc aucun moment de ma carrière.
Comment se passent les premiers pas à Troyes ?
Très bien, j’ai une nouvelle fois eu la chance de tomber dans un groupe sain, très ouvert et qui vit très bien. Mon intégration se passe donc très bien, le groupe correspond à ma mentalité. Je connais certains joueurs avec qui j’ai évolué à Arles-Avignon, je suis très heureux d’être là.
Comment voyez-vous la deuxième partie de saison de l’Amiens SC, sur le point de perdre un deuxième élément majeur de son effectif en la personne de Guessouma Fofana ?
Je ne suis pas inquiet pour eux. Je ne suis pas voyant mais je suis bien placé pour connaître leur force collective. S’ils restent unis, je pense que les choses vont continuer de bien se dérouler. La force de l’Amiens SC est clairement son collectif, il n’y a aucune individualité au-dessus de la mêlée. Je suis persuadé que le groupe parviendra à conserver cet état d’esprit.
Propos recueillis par Romain PECHON
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