Chaque mercredi, deux rédacteurs de GazetteSports confrontent leur opinion sur un sujet faisant l’actualité. Cette semaine, Camille Marsiglia et Romain Pechon s’opposent sur l’intérêt de jouer l’hymne national avant le début des rencontres sportives.
Alors que la ministre des Sports, Laura Flessel, a appelé, la semaine dernière, à faire chanter l’hymne national « avant chaque compétition relevant de championnats de France » dans une lettre adressée aux fédérations sportives, le débat est lancé : faut-il jouer l’hymne français avant chaque compétition sportive ?
Étendre notre hymne au cadre national : qu’y-a-t-il d’étrange ?
Certes, cette pratique est plus répandue de l’autre côté de l’Atlantique. En effet, aux États-Unis, pas un match de championnat ne débute sans qu’il ait été précédé par le « Star-Spangled Banner ». Vouloir appliquer quelque chose qui n’est apparemment pas dans nos gênes pourrait contrarier nos habitudes. Mais parce qu’une coutume ne vient pas de chez nous, est-elle d’emblée mauvaise pour nous ?
Le but implicite que recherche la ministre des Sports à travers cette lettre soit celui de rassembler.
Qu’y a-t-il de plus fédérateur que le sport ? C’est une question qui pourrait sans aucun doute faire l’objet d’un autre débat. Cela dit, il semblerait que le but implicite que recherche la ministre des Sports à travers cette lettre soit celui de rassembler. De créer via le sport une union, une solidarité. Nous entendons la Marseillaise lors d’une participation française à un événement international. Or, il s’agit bien d’un hymne national, alors pourquoi l’entonner seulement en présence d’autres pays ? Pourquoi lors d’une rencontre entre deux clubs français, tous les joueurs ne pourraient-ils pas chanter l’hymne de leur pays ? Ne peut-on être patriote et fier d’être français que devant une autre nation ?
Un moyen de pacifier les rencontres ?
D’une part, cela donnerait une dimension importante à la rencontre qui s’ensuivrait. Chanter la Marseillaise provoquerait une solennité chez bon nombre de femmes et d’hommes qui n’auront probablement jamais la chance de participer à une compétition européenne ou internationale. D’autre part, et cela peut sembler contradictoire, deux équipes du même pays proclamant l’hymne national avant de s’affronter relativiserait l’enjeu de cette rencontre et rappellerait à chacune que le match qu’elle s’apprête à disputer doit rester avant tout un plaisir. Qu’il faut savoir faire preuve de fair-play lorsque l’on perd et de modération lorsque l’on gagne. Que le sport reste un sport.
Si cela pouvait contribuer un tant soit peu à diminuer les tensions.
Imaginons que l’hymne national soit entonné avant le début de Saint-Étienne – Lyon. Les vingt-deux joueurs sur le terrain seraient tous en train de participer à la dédramatisation et à la minimisation de l’enjeu du fameux derby sans pour autant enlever la passion et la compétition de ce célèbre choc. Peut-être alors les supporters y verraient un signal. Qu’importe leur nationalité, qu’importe leurs origines, qu’importe leur club de prédilection : ils suivent tous une équipe basée en France dont les joueurs s’apprêtent à jouer à un simple jeu. Si cela pouvait contribuer un tant soit peu à diminuer les tensions et ainsi réduire les risques de violences lors de ces rencontres délicates, le mettre en application serait (au minimum) un moindre mal…
Camille MARSIGLIA
Mais quelle mouche a piqué la guêpe ?
Dans une lettre datant du 20 octobre, co-signé par, Denis Masseglia, le président du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF), Laura Flessel, jusqu’ici ministre des Jeux olympiques, a appelé les fédérations sportives à faire chanter la Marseillaise « avant chaque compétition relevant de championnats de France » au nom, je cite, de la culture du sport. Un concept qui, au passage, n’a toujours pas été théorisé avec précision par la ministre des Sports. « Le sport ce n’est pas que de la compétition, c’est aussi de la cohésion, du savoir-vivre et un savoir-être. Aujourd’hui, on associe toujours la Marseille à la valorisation d’un exploit sportif ou bien par rapport à une explosion et cela à des attraits à gérer très durs. La culture du sport est d’être citoyen, patriote et républicain. On doit donc aimer la Marseillaise et la France, il faut rendre cette éducation très tôt. C’est un moyen de montrer sa fierté tout au long de notre vie », confiait-elle au micro de Public Sénat, le 9 novembre.
Bon nombre d’exemples, dans l’histoire du sport, ont démontré que l’on pouvait être un parfait « serviteur » de la Nation sans pour autant chanter l’hymne national.
Tout d’abord, Laura Flessel borgne le patriotisme au simple fait de chanter la Marseillaise. Or, bon nombre d’exemples, dans l’histoire du sport, ont démontré que l’on pouvait être un parfait « serviteur » de la Nation sans pour autant chanter l’hymne national. Champion du Monde en 1998, Christian Karembeu se refusait à entonner la Marseillaise, non pas par conviction politique mais en raison d’un ressentiment personnel, intime. Originaire de la Nouvelle-Calédonie, Karembeu protestait ainsi contre la condition du peuple Kanak mais il entendait surtout entretenir un devoir de mémoire. Celui de son grand-père érigeait telle une bête lors de l’exposition coloniale de 1931 à Paris. Pour autant, cela a-t-il empêché Christian Karembeu de participer activement à la victoire de l’Equipe de France en 1998 ? Non. N’a-t-il pas été l’un des visages du concept de France « black-blanc-beur » instrumentalisé par la classe politique de l’époque ? Oui.
Un processus de banalisation de l’hymne national
En généralisant la Marseillaise de la sorte, Laura Flessel va, implicitement, relancer ce débat sur la nécessité d’entonner la Marseillaise à chaque fois que celle-ci est jouée dans une enceinte sportive. Déjà récupéré par une branche extrémiste de la classe politique française, ce débat va de nouveau mettre le feu aux poudres. Il suffit de voir comment le patriotisme américain est instrumentalisé dans le conflit lattant entre le président des Etats-Unis d’Amérique, Donald Trump, et plusieurs joueurs de football US. Plus irrespectueux que jamais, l’ancien directeur du concours Miss Univers a notamment qualifié de « fils de pute » les joueurs de NFL décidant de s’agenouiller – un acte symbolique visant à dénoncer le racisme – lorsque The Star-Spangled Banner, l’hymne américain, résonnait en amont des rencontres sportives. Lancé par Colin Kaepernick, ce mouvement de contestation, louable il est vrai, a divisé la société américaine. Preuve s’il en est que l’hymne national peut également être, lorsqu’il est instrumentalisé par la classe politique, un objet de division et non de cohésion.
La portée symbolique d’un geste est souvent corrélée à sa rareté.
Et si le geste de Tommie Smith et John Carlos, à savoir leur levé de poing ganté aux jeux Olympiques de Mexico à 1968, a marqué l’histoire du sport mondial, il n’est pas sûr que la mobilisation des joueurs de football américain finisse par avoir le même retentissement. Effectivement, plusieurs joueurs, dont Rishard Matthews, membre des Tennessee Titants, a déjà expliqué qu’il continuerait de mettre le genou à terre jusqu’à ce que le président des Etats-Unis formule des excuses. Or, la portée symbolique d’un geste est souvent corrélée à sa rareté. En renouvelant l’opération à chaque rencontre de NFL, les protestataires banalisent en quelque sorte leur message. Il en est de même pour l’hymne national. Celui-ci doit rester quelque chose de rare, associé à des événements suprêmes. La valeur que l’on associerait à la Marseillaise sera d’autant plus forte si celle-ci demeure, d’une certaine façon, sacralisée.
En ce sens, le football donne l’exemple en jouant la Marseillaise pour les matches de l’équipe de France et les finales de la Coupe de France et de la Coupe de la Ligue. Point trop n’en faut. Enfin, au regard du nombre de joueurs étrangers évoluant dans nos championnats nationaux, il serait assez absurde d’entonner l’hymne national lors d’un match d’une équipe française alignant aucun joueur français au coup d’envoi.
Romain PECHON
Crédit photo : Léandre Leber – GazetteSports