ATHLÉTISME : « Je m’effondre par terre, en pleurs », confie Fatoumata Balley, finaliste mondiale

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La sauteuse en hauteur, Fatoumata Balley, vient de clôturer sa saison aux Jeux Islamiques, à Riyad, une fin en apothéose après les Mondiaux de Tokyo où elle a fait honneur à sa nation en se qualifiant pour une finale « historique ».

1,90 m, c’est le record établi par l’athlète de l’Amiens UC Athlétisme cette année. Des performances remarquables pour cette sauteuse en hauteur qui a vu sa carrière atteindre son apogée le 21 septembre dernier lors de la finale des Mondiaux à Tokyo. Pour décrocher son billet, le chemin a été loin d’être facile. Toute la saison, la Franco-Guinéenne a vécu des montagnes russes. « Pour les Mondiaux, mentalement et physiquement, je suis montée très haut, mais c’était une saison très compliquée émotionnellement. Je me doutais que ça allait être stressant et intense, mais là, vraiment, c’était très dur », confie-t-elle. Son changement d’entraîneur en milieu de saison n’a pas simplifié les choses, même si Cédric Lheureux s’est révélé être la bonne personne pour l’accompagner. « Il y a eu plein de hauts et de bas. À la fin de certaines compétitions, je finissais en pleurs, me disant : “C’est mort, je n’y arriverai jamais, aux Mondiaux.” Je voyais la fin de la saison arriver, les autres filles sauter, et je me disais : “Tout ça pour rien… C’est horrible.” Parfois, je me disais quand même : “Je suis trop contente de faire ce que je fais.” »

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Fatoumata Balley, au meeting des 3 Sauts en février 2024.

Ce qui l’a sauvée, c’est son entourage, le soutien de ses proches, et surtout son mental d’acier. « Le soir après la compétition, j’avais un down, et le lendemain, j’étais de retour motivée à l’entraînement. Ce n’étaient pas des baisses de moral qui duraient 10 jours. Je pense que c’est ça qui a fait ma force, surtout que souvent sur les compétitions, j’étais seule. » Ce qu’elle retiendra avant tout de cette saison, c’est cette participation historique aux Mondiaux. « J’ai vraiment profité de chaque instant, se souvient-elle. J’ai tenu à aller voir le stade rempli avant d’arriver, moi, en tant qu’athlète. Même si je n’en étais pas à mes premiers grands championnats, c’étaient mes premiers Mondiaux et je savais que ça allait me faire tout drôle. Quand tu arrives dans le stade, tu as l’impression d’être une petite fourmi. » Au moindre clap, tout résonne, tout envahit l’espace. Ces précédentes expériences lui ont permis d’avoir les épaules à cette compétition. « Tu te dis : “Oulala, qu’est-ce que c’est que tout ça ?” Je suis vraiment fière de moi parce que j’ai réussi à rester moi-même, à ne pas me laisser submerger par toute cette pression, à ne pas me laisser surprendre. »

Une année financièrement instable

Difficile de joindre les deux bouts quand on est sauteuse en hauteur en France et qu’on ne reçoit ni soutien financier de son club, ni de sa fédération. Pour payer son logement, Fatoumata n’avait qu’une solution : revenir victorieuse des meetings, qui heureusement prennent en charge sa venue, en lui remboursant les frais de déplacement et d’hébergement. « Je vivais avec les primes que je gagnais, lâche-t-elle. Dès que j’avais une prime, je la mettais dans les frais pour le prochain meeting. » Dans ces conditions, la pression de la performance devient vite écrasante : « Je me disais : « si je ne gagne pas, comment je vais régler mon loyer ? Comment je vais financer mon prochain déplacement ? » » C’est la première fois que la Parisienne est confrontée à une situation aussi inconfortable. Elle jongle entre primes et aides de l’Etat, sa fédération ne mettant rien en place pour la soutenir. « Le sport en Guinée n’est pas assez développé et peu d’athlètes sont au niveau. C’est un peu une cause à effet. Depuis les Jeux de la Francophonique, j’essaie de taper à des portes, d’obtenir un peu d’aide », admet-elle. Les années précédentes, son club amiénois, l’AUC Athlétisme, l’accompagnait encore financièrement, jusqu’à cette saison où lui-même a dû faire face à des difficultés budgétaires. Malgré ces complications, Fatoumata restait compréhensive : « Je n’ai pas forcément eu le soutien dont j’avais besoin au niveau du club, mais ça peut arriver. Et c’est ce qui rend la finalité encore plus belle, d’avoir réussi à me qualifier avec tout ce stress, cette solitude. » Pas de médaille pour elle, mais une place de finaliste parmi les 36 meilleures mondiales, qui a la valeur d’un podium. « J’étais, et je suis toujours, extrêmement fière de moi. Très heureuse d’avoir réussi ça », confie-t-elle. Et elle a toutes les raisons de l’être.

Rentrer dans l’Histoire en représentant la Guinée

Fatoumata Balley est entrée dans l’Histoire en devenant la première athlète guinéenne, tous sports confondus, à décrocher une place en finale mondiale. Et même si ses relations avec la fédération de son pays d’origine ne sont pas toujours simples, porter les couleurs jaune et verte reste un choix de cœur qu’elle ne regrette absolument pas. « Et encore moins après avoir pu aller aux championnats du monde avec eux », souffle-t-elle, encore un peu médusée. Quelle folie, cette première participation aux Mondiaux. « J’ai essayé de vivre la compétition à fond. D’un côté, tu te dis tu es aux championnats du monde, c’est un truc de ouf. Mais en même temps, tu essaies de la vivre comme n’importe quelle compet’ : une nouvelle occasion de jumper, de faire ce que tu aimes. Si je m’étais trop focalisée sur le fait que j’étais aux Mondiaux, j’aurais tout gâché. Je n’aurais juste pas pu profiter. » C’est aussi pour cette raison qu’elle s’est montrée très active sur les réseaux : une façon d’extérioriser, de partager, d’ouvrir au public les coulisses d’un moment immense. 

L’AUC dans le coeur

Cette banlieusarde continue d’évoluer sous les couleurs du maillot amiénois. Et c’est à s’en demander pourquoi, même si elle est parfois de passage en Picardie. « Je reste à Amiens parce que j’ai un très gros attachement émotionnel avec ce club, déclare-t-elle. Dès son arrivée, Jean-Paul Bourdon l’a prise sous son aile. Il m’a accueillie et a repris toutes les bases avec moi. À l’époque, c’était un peu comme un deuxième papa pour moi. Et tous les athlètes qu’il a eus le disent. La native d’Orry-la-Ville (Oise) s’est rapidement sentie à l’aise au sein du club picard.  Je me suis sentie comme dans une petite famille. J’ai tellement évolué ici, j’ai toujours senti qu’ils étaient là pour moi. Et tout simplement, je suis attachée à eux, confie-t-elle. Loin des yeux, mais pas loin du cœur. »

L’attente insoutenable avant la confirmation mondiale

Le dernier jour pour réaliser des performances qualificatives pour le ranking, Fatoumata se retrouvait quatrième non prise. Elle savait que certaines places allaient probablement se libérer, mais tant que l’annonce n’était pas officielle, la prudence restait de mise. L’attente fut longue et éprouvante. « C’était horrible, vraiment insupportable. Chaque jour, je me demandais si ma fédé’ avait la réponse mais ne me la disait pas. » Finalement, une semaine plus tard, le verdict tombe : elle participera aux Championnats du monde. Un mélange de joie, de larmes et de soulagement. « C’était waouh ! »

La qualification « miraculeuse » pour la finale

Une fois qualifiée pour les Mondiaux, Fatoumata ne s’est pas arrêtée là. Tout lui paraissait possible, consciente qu’une finale olympique ou mondiale se joue souvent entre 1,88 m et 1,90 m. « Avant la qualif, je disais aux gens : arrêtez de me parler de finale, de médaille, vous allez me mettre la pression.» L’accès à la finale dépendait de ses essais, et elle devait assurer ses barres dès le premier passage. « Je n’avais aucune certitude d’aller en finale. 1,88 m, je ne l’avais passé qu’une fois cette saison, et c’étaient mes premiers championnats du monde. » Malgré la pression, elle est restée concentrée sur sa technique et détendue, consciente qu’un surplus de pression pouvait lui être défavorable. Durant les qualifications, tout s’est enchaîné rapidement : 1,83 m puis 1,88 m passés au premier essai. À 1,92 m, elle sait que si elle passe, elle sera en finale. « Et là, je sors de ma concentration et je perds mon détachement. »

En échec à 1,92 m, elle a serré les dents, en pensant : « Si ça ne passe pas, ça sera à à rien. » Heureusement, les barres précédentes franchies aux premiers essais lui ont permis d’intégrer l’élites mondiales. « Quand je ne passe pas 92, je vais voir mon coach et il me dit que ça peut passer en finale. Je ne le croyais pas. J’étais tellement dans un autre monde que c’était impossible pour moi. L’attente du résultat lui a paru durer une éternité. Puis, le tableau s’est mis à afficher les noms un à un : en douzième, le drapeau de la Guinée et son nom apparaissent. Je m’effondre par terre, en pleurs. Avec tout ce qui s’est passé, j’étais seule, sans soutien financier… et là, je passe en finale. La performance est remarquable : 1,88 m franchi pour seulement la troisième fois de sa carrière, aux premiers essais, soit sa deuxième meilleure performance de tous les temps.  J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre. Je n’ai pratiquement pas dormi de la nuit et heureusement qu’on a eu deux jours entre la qualif et la finale parce que sinon, ça aurait été compliqué », retrace-t-elle. Impossible d’imaginer ce qu’auraient été les jours suivants cette performance si elle avait été encore plus haut. « 1, 92 m aurait été mon record et mon record national », précise l’Orrygienne, sans jamais envisager que cela puisse lui être inaccessible.

La finale, un rêve éveillée

Malgré l’émotion, Fatoumata a su se re mobiliser pour la plus grande finale de sa carrière. « Je me suis dit : t’es en finale, fais en sorte que tu en gardes un bon souvenir », raconte-t-elle. Même si la première barre commençait très haut, elle a réussi à se recentrer sur son concours. « Je me disais, même si je fais 0, personne ne pourra m’enlever que jai été en finale. » Entre la qualification et la finale, elle a privilégié un travail léger pour réveiller le corps, beaucoup de récupération et un travail d’apaisement mental pour relâcher la pression. « La qualification, c’était le passé. Il fallait que je prenne conscience que jétais en finale. » La barre d’écrémage serait à 1,86 m maximum, pas de doute là-dessus.

Arrivée dans le stade, la joie et l’excitation ont primé sur le reste. « J’étais tellement contente d’être là, on aurait dit une petite fille devant un magasin de bonbons, se remémore-t-elle le sourire aux lèvres, avant de déballer la suite de son expérience, qui l’a prise au dépourvu. On avait eu 3 barres d’échauffement, 1,70, 1,80, 1,85, et ils annoncent 1,88 m pour la première barre. Je regarde les autres sauteuses, je ne vois pas trop d’expressions, je me dis, bon, Fatou, ne montre pas que tu es paniquée, ça va le faire. » Ce soir de septembre 2025, elle franchit un cap décisif. 1,88 m au premier essai, un exploit pour sa première finale mondiale, la récompense de nombreuses années de travail acharné. « Passer la première barre à 2 cm de mon record personnel, c’est fou. Je l’ai passée pour la quatrième fois de ma vie et je me suis dit : qu’est-ce qu’il se passe ? » Cette athlète a porté son physique et son mental à un niveau qu’elle n’avait que rarement atteint auparavant. C’était peut-être trop lui demander de franchir 1,93 m, une performance capable de déclencher un cri retentissant dans tout le stade. Aucun regret, aucun sentiment négatif, la Guinéene a quitté le Japon avec confiance, prête à viser des barres encore plus hautes. « C’est fini de commencer à 1,65 m, en rit-elle. Je sais maintenant que je suis capable de bien plus. »

Fatoumata Balley ? Inarrêtable.

Fatoumata se dit prête à repousser encore ses limites. «Ma marge de progression ? Je ne sais pas où elle s’arrête. Et je n’ai pas envie de le savoir, je veux croire qu’elle est infinie. » Elle restera au club d’Amiens, malgré quelques doutes liés à son lieu d’entraînement et à l’encadrement. Mais on ne change pas une équipe qui gagne », s’exclame-t-elle. Ses objectifs pour la saison prochaine sont ambitieux, mais dans ses cordes. Aux championnats d’Afrique, où elle a terminé troisième lors de sa dernière participation, elle vise au moins la deuxième place. Toujours plus haut, rester sur le podium est obligatoire. Elle espère également se qualifier pour les championnats du monde en salle, un objectif difficile qui demande d’être dans les douze meilleures mondiales. C’est bien de rêver, mais il faut rester réaliste pour ne pas tomber de haut. Là, c’est davantage de l’ordre d’un rêve, mais dans un an, j’espère que ce sera un réel objectif. » 1,92 m, elle l’a dans la tête. Franchir cette barre inscrirait un peu plus son nom dans l’histoire, avec un record national guinéen et une performance mondiale IA. Peut-être bénéficiera-t-elle prochainement d’une bourse olympique de son pays ? « Ça a commencé à bouger après que je sois arrivée 12e mondiale. Mieux vaut tard que jamais », conclut-elle.

Fatoumata a encore permis à la Guinée de briller en ramenant l’argent à la maison lors des Jeux Islamiques (7 au 21 novembre). Même si elle visait l’or, elle s’est battue avec ses armes du moment. Épuisée par cette saison, elle a donné tout ce qu’elle avait lors de cette dernière échéance avant de tirer sa révérence. Place au repos pour cette guerrière à l’énergie débordante, qu’elle souffle bien avant de revenir plus forte que jamais. Petite entorse à sa phase de récupération, afin d’honorer de sa présence le stade Urbain Wallet à l’occasion de la deuxième étape du Top Hauteur Challenge.

Sabine Loeb
Crédit photo : Fatoumata Balley – Gazettesports.fr (archives)