Énora Polycarpe, accompagnée de huit autres cyclistes, a bouclé le Tour de France un jour avant les professionnels. Engagée avec l’association « Donnons des Elles au Vélo J-1 », elle a pris le départ le 4 juillet pour parcourir 3 320 km, avec 51 550 mètres de dénivelé positif à travers l’Hexagone.
« C’était l’année ou jamais : le parcours passait à deux kilomètres de chez mes parents, là où j’ai grandi », a expliqué Énora, qui a suivi les traces de sa sœur Noéline, déjà finisheuse du Tour de France, encouragée à retenter l’aventure. « Elle ne l’aurait pas forcément refait toute seule. » L’Amiénoise est revenue sur cette expérience inédite, partagée avec « un super groupe, plein de bonne humeur », composé de huit autres coureuses. « On nous avait dit qu’il y avait toujours un peu de tension, à cause de la vie en communauté et de la fatigue… mais là, pas du tout. C’était toujours dans la rigolade. »
De la pluie sur les étapes Valenciennes–Dunkerque et Amiens–Rouen, au grand soleil des Champs-Élysées : les neuf cyclistes ont connu toutes les conditions durant ces 21 étapes à travers la France. Lors de la redoutable 18e étape, entre Vif et Courchevel (Col de la Loze), Énora a mis 11 heures à parcourir les 170 km et 5 500 mètres de dénivelé. « Sur la fin, c’était dur. On savait que c’était fini et c’est ce qui nous motivait. J’ai fini bras nus, avec 4 degrés, les mains gelées… donc oui, on l’a bien senti. » En montagne, les écarts entre les coureuses se creusaient naturellement. Mais en haut des cols, elles prenaient le temps de s’attendre. « Certaines allaient se mettre à l’abri pendant 20 minutes, en attendant les autres. Ce n’est pas possible de grimper toutes au même rythme, alors chacune montait à son allure. »

Heureusement, sur certaines étapes, des cyclistes amateurs ou confirmés sont venus renforcer le convoi initial. « Étonnamment, à Amiens, il y avait du monde, même sous la pluie. » Cette édition a d’ailleurs rassemblé le plus grand nombre de participants venus rouler aux côtés du groupe. Chaque jour, jusqu’à 35 femmes et 35 hommes pouvaient les rejoindre sur le parcours de leur choix. Parfois, des licenciés de clubs ou des groupes de cyclistes locaux venaient pédaler avec elles. « C’est toujours une surprise : on ne sait jamais s’il y aura du monde ou non », a confié Énora.
Tout était mis en place pour que les neuf coureuses soient le mieux encadrées possible. Au total, l’équipe compte 19 personnes : 10 membres du staff — une personne dédiée à la communication, un webmaster gérant les inscriptions et le site internet, 3 ostéopathes, 2 mécaniciennes, un motard, ainsi qu’un coordinateur et une coordinatrice, étaient présents. Différents véhicules suivaient le peloton : une voiture restait quasiment en permanence derrière elles, avec la photographe à bord ; le camion atelier ; un minibus 9 places avec le ravitaillement et les boissons (souvent en avance pour installer le prochain point de ravito).
L’organisation était bien rodée : toutes les deux heures, les coureuses s’arrêtaient 10 minutes pour se ravitailler, aller aux toilettes et refaire le plein, même si elles avaient toujours des barres et autres encas sur elles. Vers midi, un dernier camion rejoignait le groupe. Équipé d’une petite kitchenette et contenant les valises des coureuses, il permettait à la nutritionniste de préparer des repas sains et équilibrés, « qui tiennent au corps » pour les sportives. Une exception qui a ravi Énora : « Nous avons de la chance, car nous pouvons mettre jusqu’à 11 heures sur certaines étapes, à la différence des coureurs. L’effort est beaucoup plus long. »

Chaque jour, le réveil sonnait vers 6 h, pour un départ fixé entre 8h et 8h30, « le plus tôt possible ». Cette marge permettait aux coureuses de prendre le petit-déjeuner sans se presser et d’effectuer le transfert entre l’hôtel et le point de départ, qui n’étaient pas toujours proches. Arrivées sur le lieu de l’étape, elles ne faisaient pas le départ fictif des professionnelles et partaient directement sur le véritable circuit.
Pour enchaîner les journées, elles roulaient à une moyenne de 26 à 27 km/h : une allure qui leur permettait de se préserver tout en accueillant du public à leurs côtés. « On incitait même les vélos électriques à nous rejoindre, même si, sur les trois semaines, seuls trois ou quatre l’ont fait », a précisé Énora. Il était possible de ne faire qu’une demi-étape le matin ou l’après-midi, l’étape entière, ou même moins. « En Mayenne, nous avons eu quatre ou cinq jeunes filles qui sont venues avec nous : c’était super beau à voir, une belle image. Peut-être qu’un jour, elles postuleront elles aussi. Plus on voit de personnes, plus le projet se fait connaître », s’enthousiasmait-elle.
Bien équipées, les coureuses ont reçu de l’association un vélo, livré entre janvier et avril pour qu’elles puissent s’y habituer, et qu’elles pouvaient acheter à moindre prix à l’issue du Tour. Elles disposaient également de trois tenues complètes (vestes, cuissards, maillots fournis) qu’elles lavaient régulièrement pour tenir les trois semaines, ainsi que d’un casque et de lunettes. « C’est une belle opportunité de pouvoir changer, même si je ne l’ai pas gardé. C’est vraiment essentiel, car s’il faut prendre son propre vélo, ce n’est plus pareil. On ne sait pas dans quel état il va revenir… Trois semaines, ce n’est pas anodin, même si on a des mécaniciennes qui les chouchoutent », explique-t-elle.

Même si Énora est plus à l’aise sur le plat — « car par ici, à Amiens, ce n’est pas simple, et avec deux semaines dans les jambes, il est difficile de se préparer pour des cols » — elle s’est accrochée, notamment à sa sœur, qui a sensiblement le même niveau qu’elle et qu’elle prenait comme « repère pour essayer de la rattraper ». En montagne, elles ont reçu beaucoup d’encouragements, surtout de la part des camping-caristes installés pour la semaine, habitués du Tour, qui commencent à les connaître. Finir à Paris, « monter Montmartre comme les pros », c’était exceptionnel, même si la police municipale ne les a pas escortées cette année et a donc rendu la fin plus compliquée.
Une soixantaine de femmes ont déjà participé au projet, ce qui permet d’avoir un ancrage sur tout le territoire et d’en faire parler un peu partout. Mais il reste encore du travail. De retour dans la Somme, Énora commence seulement à prendre conscience de ce qu’elle a accompli. « Quand on est dedans, on ne réalise pas ce qu’on vit, on est tellement concentrées sur la journée… Là, je pense qu’on commence seulement à se dire qu’on a vraiment fait le Tour de France. » À peine le vélo posé chez elle, son corps a lâché et elle est tombée malade. Près de deux semaines après l’arrivée, elle n’a toujours pas récupéré : « Pour venir, j’ai fait 10 minutes à pied, et je sens que pour le cœur, c’est dur. » C’est une belle aventure qui s’achève pour Énora et ses coéquipières de route.
Sabine Loeb
Crédit photo : Sophie Gâteau et Donnons des Elles au Vélo J-1 – DR

