Deuxième partie de notre entretien avec Franck Tack et Vincent Seznec, les deux ultra-trailers amiénois partis à la Réunion pour faire le Grand Raid 2019.
Ils nous parlent ici du déroulement de la course, avec une grosse frayeur pour l’un, une course de rêve pour l’autre, avec pour les deux, au final, des résultats impressionnants. Au-delà du classement, les deux hommes ont pris part à une expérience unique, partagée avec leurs proches et dont ils se souviendront longtemps.
Rentrons maintenant dans la vif du sujet, pouvez-vous me raconter votre course ?
Franck : Pour moi, si je peux la définir c’est la course de rêve. J’ai eu des sensations plutôt correctes au début, voire même très bonnes pendant que j’étais dans les cirques, notamment sur la traversée du cirque de Mafate. Cette partie là c’était presque l’euphorie, j’étais même à me dire « mais quand-est-ce que ça va péter ». Mais au final ça s’est bien passé, donc une course de rêve et une course que j’ai pu partager avec mon amie et ma fille, qui étaient là à chaque ravitos quand elles pouvaient être là, et ça c’est juste exceptionnel de pouvoir partager, d’avoir des regards, d’avoir des petits mots, qui font que l’on est boosté.
Je me suis senti super bien à partir du 125ème, après avoir mangé une pizza à quatre heures du matin.
Vincent Seznec
Vincent : Les 15-16 premiers kilomètres très bien, on été ensemble d’ailleurs, ça c’était sympa, on s’était dit de ne pas partir trop vite et surtout ne pas se laisser aspirer par des gens qui partent très vite. Et pour moi gros moment de « flip » lorsque je m’ouvre le crâne au 18ème kilomètre. Il y avait un tronc, je l’ai tapé et ça m’a éjecté dans le talus deux mètres plus bas, du coup je me suis ouvert le cuir chevelu. Donc, jusqu’à Cilaos au kilomètre 65, j’ai eu le moral dans les chaussettes. En plus j’avais très mal à la tête, je ne savais pas si c’était le froid car il faisait -5° la nuit et, ou, l’impact. Du coup j’avais envoyé un message à ma femme, car je savais qu’elle serait là à Cilaos pour qu’elle prévoit de l’aspirine dans l’espoir de pouvoir repartir. Et là-bas ça m’a fait beaucoup de bien de voir ma famille, mes enfants, et ensuite ça allait mieux. J’ai fait une traversée de Mafate correcte, et la montée du Taïbit a été un peu compliquée en plein cagnard. Sinon je me suis senti super bien à partir du 125ème, après avoir mangé une pizza à quatre heures du matin. C’était le petit réconfort.
Est-ce que vous avez réussi à profiter durant la course ?
Vincent : Oui de toute façon il y a des phases. Déjà on sait que les phases où l’on est moins bien on va relâcher le rythme donc tant qu’à faire on regarde le paysage. Bon après la technicité du terrain fait que l’on regarde quand même beaucoup ses pieds.
Franck : Après dès que l’on passe les trente heures, on a deux nuits, donc la première nuit on regarde les chaussures et la lueur de la frontale…
Vincent : Et on ne voit pas les arbres (rires)…
Franck : Pour la petite anecdote moi j’ai tapé le même arbre que Vincent mais comme je suis plus petit j’ai eu moins de dégâts (rires).
Évoquons maintenant trois choses essentielles : l’alimentation, l’hydratation et le sommeil…
Franck : C’est vraiment l’expérience qui parle. C’est propre à chacun, on sait ce que l’on aime, on sait ce qu’il ne faut pas prendre. Moi en l’occurrence, je suis parti du principe de ne manger que des sucres lents. Chaque ravitaillement c’était riz, bouillon, pâtes, et on avait la chance d’avoir du poulet sur des ravitaillements. Entre les ravitos c’étaient deux gorgées de compote active et un petit gâteau au chocolat protéiné, j’ai fait ça durant toute la course. Je n’ai pas changé mon menu, je n’ai pas fait de variété, juste un petit carré de chocolat ou un quart d’orange pour changer le gout.
Pour l’hydratation j’avais un protocole dans la tête, c’était de boire 500 ml d’eau par heure.
Concernant le sommeil, c’était mon deuxième ultra XL, c’est-à-dire deuxième 170 kilomètres; lors du premier je n’avais pas dormi et là j’ai eu besoin de dormir deux fois. Donc j’ai fait deux micro-siestes de 10 minutes qui m’ont requinqué comme jamais. Et ça je l’ai fait en présence de ma compagne qui a pu gérer le temps des 10 minutes, c’était voulu, je n’ai pas pris de risque.
Vincent : Pour l’hydratation à peu près le même régime et un peu plus quand il faisait vraiment chaud, pour éviter la déshydratation.
Au niveau alimentation c’était une barre environ toutes les heures. Sinon moi j’ai pour habitude de profiter de ce qui est proposé aux ravitos, quand c’est dans les Alpes il y a du fromage donc j’en mange, là je faisais pareil. Et pour la pizza, ça a toujours été un truc sur du long qui m’a attiré. J’avais vu un gars sur l’UTMB qui avait été ravitaillé par sa femme avec de la pizza et c’était devenu une envie pour moi. Depuis ma femme savait que c’était un truc qu’un jour j’espérais avoir, et elle l’a fait, donc un petit plaisir exceptionnel.
Au niveau du sommeil, je me suis allongé une fois dix minutes et j’ai réellement dormi 15 minutes.
Sur cette course là je n’ai jamais eu de mauvaises pensées à me dire je vais abandonner, j’étais là pour finir quoi qu’il arrive.
Vincent Seznec
Comment on gère les « coups de moins bien » durant la course ?
Franck : On se parle à soi-même.
Vincent : On se connaît et on sait que ça va finir par passer, on a déjà l’expérience de ça.
Franck : En fait il faut avoir confiance. Il faut se dire que c’est normal dans une aventure comme celle-ci, où les corps sont poussés un peu dans leur retranchement. Donc on essaie de retrouver des petites habitudes niveau alimentaire, de baisser le rythme, de s’adapter au terrain, de profiter aussi. On essaie de se nourrir d’autre chose, de se mettre des images positives : moi c’est toujours cette image où je franchis la ligne d’arrivée.
Vincent : Quand le coup de moins bien est là, pour moi l’idée c’est toujours de progresser en fait. On voit parfois des gens qui s’arrêtent pour s’asseoir, moi je pars du principe que non, je préfère avancer très lentement sinon c’est le meilleur moyen que le moral en prenne un coup. Sur cette course là je n’ai jamais eu de mauvaises pensées à me dire je vais abandonner, j’étais là pour finir quoi qu’il arrive.
Lors des ravitaillements, le soutien de la famille est essentiel ?
Vincent : Ah oui ça aide !
Franck : Ça vaut beaucoup de chose. Il y a d’autres petites anecdotes, j’allume rarement mon téléphone en course, là j’étais obligé de l’allumer pour signaler ma présence à mes ravitailleuses de choc, et juste le nombre de notifications et de sonneries ça m’a boosté. La présence des proches c’est juste incroyable, si pour nous la course est difficile, elle est très compliquée aussi pour les ravitailleurs et les assistants. On reconnait encore plus l’importance qu’elles ont sur ce genre de course.
Vous étiez attentifs à votre classement durant la course?
Franck : Au fur et à mesure de la course je ne voulais pas connaître mon classement, je l’ai su par inadvertance par une bénévole au 113ème kilomètre, et là je me suis dit : « Ah il y a quand même quelque chose à faire », donc j’ai osé encore plus sur la fin on va dire.
Vincent : Comme ma femme était sur deux ravitos je savais. surtout au 125ème kilomètre en fait. Avant cela je n’étais pas en grande forme, j’avais un peu le moral dans les chaussettes. J’ai eu des sensations bizarres en fait sur la course, je n’ai pas eu les sensations que j’avais d’habitude, donc ma course a vraiment commencé au 125ème.
Quelles sensations avez-vous eues lorsque vous avez franchi la ligne ? (ndlr : Franck en 34h a fini 76ème de la course et Vincent en 39h a terminé 208ème sur les 2800 inscrits au départ)
Franck : La ligne d’arrivée c’est l’extase. C’est un accomplissement, là il y a beaucoup d’émotions, on est un peu perdu. Il y a une grande fierté et on se dit « wahou » je l’ai fait.
Vincent : La ligne d’arrivée comme disait Franck, on ne réalise pas tout de suite, car en plus on arrive très vite dans le stade. Sans aucune prétention aucune, c’est se dire que c’est un accomplissement, que l’on a réussi à le faire, quand en plus on voit le chrono, et après il y a tout qui retombe.
Franck : Il y a de la magie…
La ligne d’arrivée c’est l’extase
Franck Tack
Les jours qui ont suivi la course ont été compliqués ?
Vincent : Non aucun problème.
Franck : Aucun souci. Et c’est là qu’on se dit que la la prépa était bonne.
Aujourd’hui comment allez-vous ?
Vincent : Physiquement très bien.
Franck : Très bien aussi.
Vincent : Après c’est juste le retour à la réalité qui est un peu compliqué…on serait bien resté plus longtemps.
Exploit non je ne pense pas, enfin moi je pars du principe que j’ai réussi à le faire donc que plein de gens peuvent le faire.
Vincent Seznec
À froid vous réalisez l’exploit que vous avez accompli ?
Vincent : Exploit non je ne pense pas, enfin moi je pars du principe que j’ai réussi à le faire donc que plein de gens peuvent le faire.
Franck : C’est ça.
Vincent : ….et plein de gens arrivent à le faire.
Franck : On nous dit souvent : « vous êtes fou ! », en l’occurrence pour la diag ça colle bien, mais bon il y a quand même 2700 participants donc on n’est pas tout seul. Après comme dit Vincent, à partir du moment où on se fixe un objectif tout le monde peut y arriver, le tout c’est qu’il faut prendre son temps, y aller par étape, une aventure quoi.
C’est quelque chose que vous seriez prêts à refaire ?
Franck : Moi si je pouvais y retourner l’année prochaine, j’irai.
Vincent : À refaire certainement, peut être avec l’appréhension de ne pas revivre une course qui se passe aussi bien que cette année, mine de rien les objectifs ont été plus que remplis, il y a plus de chance que ça se passe moins bien… Mais ça serait formidable de le refaire, mais pas l’année prochaine, le budget ne va pas suivre.
Propos recueillis par Quentin Ducrocq
Crédits photos DR