HUMEUR : Le Mayer d’entre nous
Il était favori, il n’a pas déçu. Un an après son titre de vice-champion olympique du décathlon, Kevin Mayer est devenu champion du monde de la discipline, samedi dernier à Londres. Une performance exceptionnelle à bien des égards. Pourtant, il s’en est fallu de peu, de quelques millimètres même, pour que le poulain de Bertrand Valcin voit son rêve se briser sous ses yeux. Septième épreuve d’un concours hors du commun, la perche est normalement l’un des points forts de Kevin Mayer. Malgré un record personnel à 5m40, établit l’an dernier à Rio, le futur champion du monde échoue lors de ses deux premiers essais à 5m10. Problème, il a décidé d’entamer son concours à cette hauteur. Un troisième essai manqué hypothéquerait définitivement ses chances de victoire et même de médaille.
Le saut d’une vie
Impérial jusqu’ici, Mayer est alors en tête du décathlon et peut même viser le record du monde d’Ashton Eaton. La destinée d’un concours, d’une carrière et peut-être même d’une vie va donc se jouer sur un seul saut. Plus tendu que jamais, Mayer franchit finalement cette barre, non pas sans l’avoir fait trembler, et peut exprimer tout son soulagement. Parfois cruel, le sport peut aussi s’avérer merveilleux. Et, si le natif d’Argenteuil butait ensuite à 5m30, le plus dur était fait. Kevin Mayer venait de franchir le dernier obstacle sur la longue route le menant au titre de champion du monde du décathlon, à quelques points de son record personnel et, donc, sans avoir battu le record du monde. Mais l’essentiel était ailleurs parce que la performance peut aussi être sublimée par le contexte dans lequel elle a été établie.
Alors qu’il venait de monter sur le toit du monde, Kevin Mayer a fait preuve d’une humilité sans pareille. Ému aux larmes lors de sa Marseillaise, le meilleur décathlonien du monde savait qu’il revenait de loin. Il savait aussi que cette médaille était le fruit de longues années de travail. Ainsi, il n’eut aucun mal à concéder qu’il avait pensé abandonner en cas d’échec lors de son essai fatidique à la perche. Exigent envers lui-même, Kevin Mayer n’est pas uniquement un sportif d’exception. A peiné couronné, l’athlète de 25 ans n’en oubliait pas de remercier toutes les personnes à l’origine de son succès. Il offrait même sa deuxième médaille à son entraîneur. Un énième geste de classe d’un homme hors du commun qui laisse transparaître ses doutes et ses failles, tout en parvenant à les dompter pour réaliser des performances de haut vol.
Pour la première fois dans la peau du favori, l’ancien dauphin d’Eaton a souffert de ce nouveau statut à assumer. Alors qu’il aurait pu sombrer sous la pression, il a finalement réussi à se nourrir de celle-ci pour atteindre son but. Alors que le sportif de haut niveau ne doit jamais afficher ses limites, quitte à perdre de son humanité, Mayer réussit le tour de force de gagner sans cacher ses craintes et ses faiblesses. Bien plus qu’un simple ambassadeur de sa discipline, Kevin Mayer est en réalité un merveilleux port étendard des valeurs du sport. Pour toutes ses raisons et bien plus encore, Kevin Mayer est très certainement le meilleur d’entre nous. En tout cas, il a tout pour l’être. Chapeau Monsieur Mayer.
Romain PECHON